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02 juin 2017

Économie circulaire : long terme versus court terme

Une nouvelle vision de l'économie, soucieuse d'une approche dans la durée.

En fragilisant la planète, le modèle économique actuel affiche ses limites et appelle à une réaction. Mais les freins et les défis pour passer à une économie dite « circulaire », qui vise à poursuivre l’activité économique sans épuiser les ressources naturelles, sont nombreux.

 

En 1974, le « jour du dépassement » était le 24 décembre. En 2016, c’était le 8 août. Depuis 1970, la date à laquelle nous avons épuisé l’ensemble des ressources que la planète peut produire en un an ne cesse d’avancer dans le calendrier. Résultat, l’humanité consomme actuellement une planète et demie par an, selon l’ONG américaine Global Footprint Network. À ce rythme, il nous faudra trois planètes en 2050. Et les conséquences sont à présent connues : réchauffement climatique, destruction de la biodiversité, pollution des sols, de l’air et des nappes phréatiques… Ce constat ne date pas d’hier : il a été posé pour la première fois en 1972 dans le célèbre rapport The Limits to Growth, commandé par le Club de Rome.

Le modèle de développement responsable de cette situation a été baptisé économie linéaire. Il se résume en quatre verbes : extraire, produire, consommer, jeter. Le modèle de développement qui peut permettre d’en sortir porte le nom d’économie circulaire1. Il s’agit avant tout d’une économie de la ressource : moins extraire, moins gaspiller, et donc augmenter l’efficacité de la matière à tous les stades de la vie des produits. Enfin, il faut transformer en nouvelles ressources la masse de déchets qui demeure. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) représente ainsi l’économie circulaire sous la forme d’un cercle vertueux en 7 étapes (voir schéma).[traitement;requete;objet=article#ID=1367#TITLE=Une logique en 7 étapes]

La double vertu de l’économie circulaire

Comme moins consommer de matières premières augmente mathématiquement la marge des entreprises, l’économie circulaire n’est pas seulement salutaire pour l’environnement. « C’est là toute sa force et toute sa différence avec le développement durable. Et c’est le carburant de l’action », assure François-Michel Lambert, fondateur de l’Institut de l’économie circulaire (IEC). Au niveau européen, et selon une étude de la Fondation Ellen MacArthur, en partenariat avec le SUN et McKinsey2, le passage à l’économie circulaire sur trois secteurs (mobilité, alimentation, environnement bâti) permettrait en effet de réaliser une économie de 1 800 milliards d’euros par an d’ici à 2030, soit deux fois plus que dans le cas d’un développement linéaire. Dans le même temps, la consommation des ressources primaires baisserait de 32 % et les émissions de CO2 seraient réduites de moitié par rapport aux niveaux actuels.

Un modèle économique en rupture avec l’existant

La Fondation Ellen MacArthur n’est pas la seule à faire des calculs optimistes. Mais toutes ces projections renvoient à la même question : pourquoi l’élan en faveur de l’économie circulaire n’est-il pas plus marqué ? En France, 33 grandes entreprises membres de l’Afep (Association française des entreprises privées) ont, par exemple, annoncé le lancement d’une centaine d’engagements en février dernier. Mais aussi louable que soit la démarche, cela ne fait jamais que 33 entreprises. Et seule une minorité de ces engagements marque une véritable rupture avec l’économie linéaire. Rien d’étonnant pour autant : « L’économie circulaire est à deux vitesses : c’est un outil de bon sens très stimulant pour interroger les pratiques et réaliser des économies de ressources. Mais, si l’on veut passer à la vitesse supérieure et réaliser des économies nettement plus importantes, il faut passer par des changements de business models radicaux, dont la mise en œuvre est nécessairement progressive », souligne Nicolas Boquet, directeur environnement et énergie à l’Afep.

Une décision au terme très long donc, qui ne peut venir que de la direction. « La principale barrière, c’est le leadership, confirme Lewis Perkins, président du Cradle to Cradle Products Innovation Institute, sur le site du World Economic Forum. Il faut avoir beaucoup de courage pour casser votre poule aux œufs d’or. Si votre entreprise pèse 10 milliards, allez-vous prendre le risque de la faire descendre à 9 milliards – ou même à 5 – si vous croyez qu’il faut en passer par là pour investir dans votre longévité ? »

Des objectifs courts versus long terme

De fait, les entreprises sont prises dans une injonction contradictoire : « D’un côté, des impératifs de compétitivité à court terme  ; de l’autre, la nécessité de quitter un modèle que tout le monde sait condamné à terme, mais qui pour l’instant est toujours la règle », analyse Julien Colas, responsable du pôle énergie et climat à l’association EpE (Entreprises pour l’environnement). Cette bataille du court terme contre le long terme se retrouve à toutes les étapes de l’économie circulaire, à commencer par la première, celle de l’approvisionnement durable. « On se bat sur la durée face à des acheteurs dont la priorité est la réduction des coûts, indique Gérard Brunaud, secrétaire général de l’Observatoire des achats responsables. Notre mission, c’est de leur expliquer qu’il faut considérer non pas le court terme mais le coût global sur l’ensemble du cycle de vie, qui tient compte de toutes les échelles de coût dans le temps. »

Même combat pour l’écoconception, clé de voûte du système, où se joue 80 % de l’avenir d’un produit. « L’écoconception passe généralement par une analyse du cycle de vie, qui est perçue comme longue et coûteuse », indique Alain Geldron, expert national matières premières à l’Ademe. D’où un travail de sensibilisation mené par l’Ademe pour montrer, études à l’appui, l’augmentation des profits mais aussi les retombées positives autres que financières, notamment en termes d’image et de fidélisation de la clientèle. Même problématique pour l’écologie industrielle et territoriale. « Le principal frein, c’est d’instaurer la confiance sur le long terme entre les parties. Car, pour collaborer, il faut dévoiler des données et les entreprises y sont souvent réticentes », indique Nathalie Boyer, déléguée générale d’Orée, association multi­acteurs qui suit les 70 démarches d’écologie industrielle et territoriale françaises.

Quand le recyclage est-il gagnant ?

Pour le recyclage, les gains sont encore difficiles à percevoir même sur le long terme, en raison des coûts liés au triptyque collecte/tri/traitement. Le recyclage ne devient rentable que si le prix de la matière vierge est supérieur à ces trois opérations, auxquelles on soustrait le coût d’élimination propre à l’économie linéaire (enfouissement ou incinération). Exemple emblématique, les matières plastiques. En France, le taux de recyclage est de moins de 7 %. En cause, la diversité des plastiques au moment du tri et le coût d’incorporation élevé dans la chaîne de fabrication. « La concurrence d’autres pays moins exigeants sur l’environnement est également un frein considérable », signale Nicolas Boquet. Victime de cette concurrence, le rechapage, une activité exemplaire de l’économie circulaire qui consiste à reconditionner des pneus poids lourds usés pour les réutiliser. « Le principal concurrent du rechapage est aujourd’hui l’importation de pneus low-cost non rechapables, explique Vincent Aurez, consultant expert économie circulaire chez EY France. Bien qu’à long terme le prix du pneu rechapé ramené au kilomètre parcouru soit plus compétitif, de nombreux clients privilégient le court terme. » Résultat : le marché du rechapage est en baisse de 20 % depuis 2010 dans les cinq pays les plus peuplés de l’Union européenne. Enfin, parier sur le long terme, c’est aussi s’exposer aux aléas géopolitiques. « En 2010, les prix de certains métaux dits “critiques” ont flambé parce que la Chine avait réduit ses quotas d’exportation, raconte Alain Geldron. Solvay décide alors d’investir dans une usine de recyclage des luminophores inclus dans les ampoules basse consommation pour y récupérer ces métaux critiques. Mais le groupe a dû fermer cette usine en 2016, d’abord parce que la Chine a fait chuter les prix en rouvrant ses quotas mais aussi par manque potentiel de matières à recycler, puisque les ampoules led deviennent dominantes sur le marché. »[traitement;requete;objet=article#ID=1373#TITLE=Ces champions français de l’économie circulaire]

La consécration de l’économie de fonctionnalité

Reste l’économie de la fonctionnalité, qui consiste à remplacer la vente d’un produit par celle de son usage. « C’est sans nul doute l’aspect le plus disruptif de l’économie circulaire. Il implique un changement total de modèle d’affaires pour les entreprises, qui, de ce fait, ne s’y engagent qu’à pas comptés », souligne Julien Colas. Michelin l’a adopté pour les pneus poids lourds, dans un premier temps. SEB a lancé une expérimentation pilote baptisée Eurêcook, qui propose la location de 28 appareils culinaires. Une chose est sûre, quand l’économie de la fonctionnalité prendra son essor, elle bouleversera également les modèles d’assurance (lire l'article ci-dessous sur l’économie de la fonctionnalité). [traitement;requete;objet=article#ID=1369#TITLE=Économie de la fonctionnalité : renforcer les liens avec l’assuré]

Des indicateurs attendus

Pour relever l’ensemble de ces défis, puisque la raison et l’économie ne suffisent pas, un des leviers majeurs est la voie réglementaire. En Europe, la Commission a proposé un paquet Économie circulaire fin 2015, qui comprend une cinquantaine de mesures (voir encadré).[traitement;requete;objet=article#ID=1377#TITLE=Les règles de la circularité en Europe]

Ailleurs dans le monde, la Chine est le plus grand laboratoire d’économie circulaire de la planète, mais les progrès sont mitigés (voir encadré).[traitement;requete;objet=article#ID=1371#TITLE=La Chine, laboratoire mondial]

Cette concurrence circulaire-long terme/linéaire-court terme se joue aussi sur le terrain des financements. Les banques ont encore tendance à considérer les risques dans une perspective traditionnelle même si certaines commencent à voir de sérieuses opportunités dans le nouveau modèle. ING Bank, dans son rapport Rethinking Finance in a Circular Economy de mai 2015, estime ainsi que l’économie circulaire pourrait générer de 1 % à 4 % net de croissance économique dans les dix premières années.

En attendant, une des conditions majeures pour démontrer aux investisseurs les vertus du long terme est sans nul doute que l’économie circulaire se dote d’indicateurs fiables. « La circularité de l’économie se mesure à l’échelle du produit, de l’entreprise, de la branche d’activité, de la zone d’activité ou encore du territoire national. Pour toutes ces échelles, les indicateurs sont différents et parfois très complexes », explique Emmanuelle Mœsch, chargée de mission à l’IEC. Seul point commun : comptabiliser les flux élémentaires entrants (ressources) et sortants (émissions vers l’air, l’eau et le sol) et bien sûr la quantité de déchets. Concernant les démarches d’écologie industrielle et territoriale, l’association Orée vient de lancer le référentiel Elipse, qui comprend 61 indicateurs.

Un enjeu citoyen

Le dilemme court terme/long terme est enfin celui des consommateurs, sans lesquels rien ne changera. À eux de faire leurs choix en prenant en compte les impacts environnementaux des produits et en s’impliquant dans l’allongement de leur durée d’usage. Or, en France, les dépenses de consommation des ménages pour l’entretien et la réparation ont diminué de 9 % entre 1990 et 2015 (Insee). L’explication ? La non-réparabilité des produits (ou à un coût jugé trop élevé), avec en tête du palmarès, lave-linge, téléviseurs, ordinateurs et téléphones portables (enquête SOeS, mars 2016). La solution ? Elle pourrait venir de l’économie de la fonctionnalité. Dès lors que le producteur ne vend plus un produit, mais son usage, il a tout intérêt à ce que le produit soit durable et performant, d’autant plus que c’est lui qui en assure la maintenance et la réparation…

  1. Pour en savoir plus : Économie circulaire, système économique et finitude des ressources, V. Aurez et L. Georgeault, éd. DeBoeck Supérieur, 2016
  2. L’économie circulaire, pour une Europe compétitive, étude 2015 de la Fondation Ellen MacArthur en partenariat avec le Stiftungsfonds für Umweltökonomie und Nachhaltigkeit (SUN) et McKinsey Center for Business and Environment.