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16 décembre 2016

Quelle relation client à l’heure du digital ?

La banque et l’assurance entretiennent en France un particularisme culturel avec leur réseau d'agences.

Alors qu’ailleurs dans le monde, les réseaux pourraient fermer 30 % de leurs agences à l’horizon 2020, la banque et l’assurance entretiennent en France un particularisme culturel. Un choix coûteux qui suppose une nouvelle vision de la relation client.

Les analyses se suivent et se ressemblent : partout, la relation client se digitalise. Selon une récente étude Audirep pour BforBank1, 11 % des Français étaient clients d’une banque en ligne en 2015, soit une progression significative de 4 points en six mois. En même temps, les nouveaux services en ligne changent la relation des usagers avec la banque traditionnelle. « En 2007, 62 % des clients déclaraient encore fréquenter plusieurs fois par mois leur agence bancaire contre 21 % seulement en 2015 », constate Béatrice Layan, responsable de l’Observatoire des métiers de la banque. De quoi imaginer une banque, un jour, sans agences physiques ? Pas si vite…

« On observe en France une diminution du nombre d’agences bancaires entre 2009 et 2015, mais qui reste encore très légère, autour de 1,9 %, par rapport à une baisse de 15 % en zone euro », nuance l’experte. Le constat vaut d’ailleurs aussi, sans surprise, pour le monde de l’assurance. D’après une étude du cabinet PwC2 sur la digitalisation du secteur, 15 % des consommateurs français auraient déjà fait le choix de souscrire une assurance-vie en ligne. Pour autant, la baisse du nombre de points de vente ne paraît pas flagrante : selon l’Observatoire de l’Argus de l’assurance3, les dix principaux réseaux français ouverts aux particuliers affichaient encore 6 870 agences en 2014, soit une baisse inférieure à 1,5 % par rapport à l’année précédente. « Depuis plus de vingt ans, nous distribuons également certains de nos produits en direct et en ligne via la marque Eurofil, qui capte une clientèle différente de celle des agents, analyse Bruno de Seguins, directeur de la distribution chez Aviva France. Dès qu’une situation est plus complexe, le client passe plus volontiers dans une agence. Pour l’instant, on n’a pas encore trouvé le moyen de porter par le digital la qualité de conseil d’un professionnel sur le terrain face à la complexité de certains risques. »

Un attachement culturel français à un « visage »

« On a construit à la fin de la Deuxième Guerre mondiale un modèle bancaire relationnel assez original, explique Jean Bouvier, spécialiste du secteur et associé chez Equinox-Cognizant. Il y a quelque chose de propre à la France là-dedans : notre culture, baignée de latinité, dessine un schéma proche de ce que l’on trouve en Italie par exemple et très éloigné du modèle transactionnel anglo-saxon. Chez nous, l’usager garde un attachement à un “visage” qu’il reconnaît et qui peut partager en confiance les moments clés de sa vie financière. » Les Français, semble-t-il, entretiennent encore une certaine pudeur dans leur rapport à l’argent. « La parole sur l’argent est encore largement taboue en France, confirme Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). En avoir est une chose, en parler est plus difficile. » Cette politologue, auteure de l’étude L’Argent et nous (éd. de la Martinière), y voit trois raisons liées à notre histoire : une culture paysanne encore récente, où l’argent restait caché à la maison, la prégnance de la culture catholique, qui entretient une pudeur supplémentaire sur le sujet, mais aussi une influence du marxisme sur une frange de la population, pour qui faire fructifier son argent est encore mal vu. « Il y a une discrétion française que l’on ne trouve pas aux États-Unis ni dans la plupart des pays d’Europe », abonde Émilie Devienne, coache et consultante.

Avec 57 agences pour 100 000 habitants, la France est le deuxième pays de l’Union européenne en termes de densité de réseau. Elle se classe encore derrière l’Espagne, qui affiche cependant le plus grand nombre de fermetures d’agences dans l’Union européenne, et pourrait très vite lui céder la première place. « C’est un particularisme français qui ne m’étonne pas, poursuit l’auteure de l’essai Cigale ? Fourmi ? Les clés d’une bonne relation à l’argent (InterEditions). On parle de son patrimoine du bout des lèvres, en tête à tête, et pas encore complètement librement en ligne… »

Un business model coûteux

Reste que ce modèle « à la française » génère des frais fixes importants. Dans sa dernière étude4, le cabinet Equinox-Cognizant rappelle que les charges opérationnelles progressent souvent plus vite que le produit net bancaire : en 2014, le PNB retail des plus grandes banques françaises n’a progressé que de 1,5 % alors que ses coûts sur le même périmètre avaient augmenté de 4 %. À partir d’un constat similaire5, le cabinet Sia Partners évoquait en 2014 un mouvement de fermeture d’agences bancaires inéluctable mais encore contenu, ramenant le nombre de points de vente en France de 38 000 à 35 000 en trois ans, soit un rythme de 3 % par an, encore bien en-deçà de la tendance actuelle de nos voisins européens et américains. Le cabinet Bain & Company6 prévoit en effet d’ici à 2020 la fermeture de 30 % des agences bancaires aux États-Unis et en Europe. Malgré tout, les banques françaises tableraient encore sur le maintien d’une forte prééminence des agences physiques dans le mix de distribution. « Les agences de proximité devraient contribuer en France à 83 % du PNB à l’horizon 2020 et contenir à 15 % la poussée de la banque directe, selon les professionnels interrogés », constate Jean Bouvier. Cette vision contraste avec celle de nos voisins : d’ici à 2020, les banquiers européens estiment que la participation des agences à leur PNB devrait passer de 81 % à 62 %, au profit essentiellement de la banque directe, qui verrait sa part doubler à 32 %.

L’agence, un avantage compétitif ?

Les acteurs français reconnaissent toutefois que ce modèle ne peut perdurer en l’état. « Pour subsister, l’agence de demain ne ressemblera en rien à celle d’aujourd’hui », analyse Christophe Triquet, actuaire associé IA et fondateur du site MerciHenri.com. En charge d’un comparateur d’assurances multi-produits, il peut s’entretenir avec l’ensemble du marché. « Tous les organismes sont en train de penser à la façon de recréer le trafic en agence pour en faire un avantage compétitif. » Tanguy Polet, directeur de la division clients et transformation digitale chez Swiss Life France, se livre à une analyse similaire. « Est-ce que le nombre d’agents diminue ? s’interroge-t-il. Non. Mais, de façon prospective, est-ce que le nombre d’agences, avec vitrine et pignon sur rue, va diminuer ? Oui, certainement. Il va baisser car, objectivement, le client aura de moins en moins de raisons d’entrer dans une boutique pour certaines opérations. » Ce réseau envisage ouvertement de « déplacer » certaines agences vers des bureaux en étage « un peu plus feutrés ». Objectif : attirer des clients qui voudront évoquer en toute confidentialité des thématiques liées à l’assurance-vie ou à la prévoyance. « Nous sommes en pilote sur une agence de ce type à Marseille, dans le nouveau quartier d’affaires de la Joliette, où nous expérimentons une nouvelle relation entre les clients et nos agents. » Et, afin que le client y gagne en efficacité, l’agence est même équipée de visioconférence pour pouvoir consulter, par exemple, des responsables de l’ingénierie patrimoniale de sa banque située place Vendôme, à Paris.

Une relation client plus exigeante avec l’omnicanal

Car le modèle français tient essentiellement à un fil : maintenir la qualité de la fameuse « expérience client » avec des usagers de plus en plus exigeants. « On peut s’inquiéter de l’avenir si on ne fait rien, concède Bruno de Seguins. Et, le monde de l’assurance en général, il est vrai, est en retard sur le digital. » Cet assureur décrit une nouvelle relation client « omnicanale » qui, en permettant à l’usager de passer d’un canal à un autre, exige une efficacité opérationnelle supplémentaire. « D’un côté, certaines tâches sans valeur ajoutée seront complètement digitalisées. Mais la partie conseil et suivi de clientèle passera toujours par un agent physique. Je pense que le client sera plus exigeant demain sur la valeur ajoutée en termes de qualité de conseil et de professionnalisme. » « La relation client doit forcément évoluer dans ce sens », abonde Frédéric Jallat. Pour le chercheur, également coauteur du livre Gestion de la relation client (éd. Pearson), la moindre attente est de plus en plus perçue comme insupportable. « Les usagers toléreront de moins en moins certains process comme devoir passer par un guichet d’accueil. Pour garantir une meilleure relation client, il faudra raccourcir le temps d’attente grâce à la reconnaissance biométrique par exemple. Et, en attendant, il faut au moins imaginer des services pour donner une plus-value à cette attente… »

[traitement;requete;objet=article#ID=1287#TITLE=Philippe Herlin, économiste et auteur de l’essai Apple, Bitcoin, Paypal, Google : la fin des banques]

Vers l’agence… augmentée

« L’agence de demain sera une agence “augmentée” », prédit Michaël Tartar. Coauteur de l’essai Transformation digitale : 5 leviers pour l’entreprise (éd. Pearson), il présente l’agence du futur comme un savant mélange de digital et d’humain. « Face à la concurrence croissante des fintech et autres géants du Web et des télécoms, les agences doivent offrir des outils digitaux optimaux également au service de l’efficacité de l’usager en agence », explique l’expert. À l’appui de son propos, il cite l’exemple de la chaîne Sephora aux États-Unis. « En scannant la carte de fidélité de leurs clients et en ayant été formés à interpréter les informations à leur disposition, les vendeurs ne leur posent plus de questions inutiles et engagent tout de suite une relation plus empathique et proche de leurs besoins. C’est un levier de satisfaction, de fidélisation mais aussi de revenus supplémentaires. » Selon une récente étude du Boston Consulting Group7, non seulement les banques en pointe dans le digital auraient un coût par client inférieur de 29 % à celui de concurrentes plus « traditionnelles », mais elles pourraient aussi améliorer leur rentabilité de 8 à 10 points. Et il semble d’autant plus urgent pour les réseaux français de se réinventer que l’attachement à l’agence, en France, est encore très prégnant y compris auprès des jeunes générations. Responsable marketing chez Hello Bank! France, Ariel Steinmann corrige volontiers certains raccourcis « générationnels ». À la banque en ligne de BNP Paribas, la moyenne d’âge des clients est de… 38 ans. Et pour cause : fidèles à leurs aînés, les générations dites Y et Z plébisciteraient, elles aussi, l’agence traditionnelle ! « Il y a énormément de jeunes qui ont besoin de conseils au moment de toucher leur premier salaire ou de solliciter un prêt immobilier. Ils ouvrent souvent leur premier compte bancaire en agence, dans la banque de leurs parents ou dans une banque partenaire de leur école. » Le particularisme français a apparemment encore quelques jours devant lui…

[traitement;requete;objet=article#ID=1289#TITLE=Une banque en ligne en complément]

1. « Les chiffres clés de la banque en ligne en 2015 en France », BforBankAudirep, mai 2015.

2. « Insurance 2020: Forcing the pace – The fast way to becoming a digital front-runner », rapport du cabinet PwC, juin 2014.

3. « Étude sur l’évolution des réseaux d’agents généraux d’assurance », Observatoire de l’Argus de l’assurance, avril 2015.

4. « Faites bouger la banque », Equinox-Cognizant, septembre 2015.

5. « 2014-2017 : Redimensionnement des réseaux d’agences bancaires », Sia Partners, mai 2014.

6. « Building the retail bank of the future », Bain & Company, juillet 2014.

7. « La banque du futur sera “bionique” ou ne sera pas », BCG, avril 2015.