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Les critères alternatifs d’appréciation du risque, envisagés par le marché suite à la suppression de la sélection médicale en assurance des emprunteurs

06 février 2024 Focus
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Dans le cadre du Groupe de Travail Assurance des Emprunteurs (GT ADE) de l'Institut des Actuaires, il a été décidé d’étudier quels sont les critères alternatifs d’appréciation du risque, envisagés par le marché suite à la suppression de la sélection médicale en assurance des emprunteur (loi Lemoine), afin d’anticiper les éventuelles conséquences concernant le travail des actuaires et être ainsi en mesure de les accompagner.

Un questionnaire a été bâti par le sous-groupe de travail (SGT7) « critères de mesures du risque pour des offres sans sélection médicale », adressé à une sélection d’experts. 3 assureurs et 5 réassureurs ont accepté de répondre sur ce sujet de l’assurance emprunteurs. La restitution ci-dessous n’engage que ces 8 répondants et non pas les membres du groupe de travail, ni l’Institut des actuaires.

Les questions du sous-groupe de travail ont porté sur plusieurs aspects, notamment le temps nécessaire au marché pour évaluer l’impact de l’absence de sélection médicale sur les équilibres techniques de ce segment, la possibilité ou pas de réviser les tarifs en utilisant des critères alternatifs de sélection des risques, à partir de quel gain technique attendu et sur base de quelles solutions, quels éventuels ajustements induits dans la segmentation tarifaire, les garanties et les parcours clients, l’accès et le traitement des données personnelles.

L’ensemble des répondants sont d’accord sur le fait qu’il faut attendre un minimum de 3 ans, qui correspond, à dire d’experts, au temps théorique de l’impact de la sélection médicale sur les portefeuilles, d’autant que le volume statistique de nouveaux contrats d’assurance emprunteur a été faible dans le contexte économique actuel par rapport à des générations de production antérieures (hausse des taux d’intérêt, baisse des prix de l’immobilier très limitée, banques plus sélectives dans les dossiers pour l’octroi d’un prêt). À partir de trois ans, il sera possible de commencer à comparer la sinistralité en nombre de décès et d’arrêt de travail, avec les autres contrats comportant une sélection médicale. Compte tenu de la forte baisse de la production des nouveaux crédits immobiliers, les impacts de la loi Lemoine ne sont pas pleinement perceptibles sur la sinistralité des portefeuilles, et, à l’heure actuelle le marché a uniquement une bonne vision sur l’effet d'aubaine qui s’avère finalement très faible depuis 12 mois. Pour une vision plus large de l’impact de l’absence de sélection médicale – les personnes ayant des pathologies qui auraient été refusées avec une sélection médicale auront un sur-risque tout au long de la période de couverture et pas uniquement les premières années –, il faudra attendre de pouvoir travailler par génération donc un minimum entre 5 ans et 8 ans, 8 ans étant la durée de vie moyenne des contrats d’assurance de prêts. Cela permettra également de prendre en compte les adaptations nécessaires aux différents réseaux de distribution, tant sur le plan des outils de distribution que sur les démarches commerciales auprès des clients.

Les répondants confirment l’existence théorique de critères alternatifs permettant de mieux maîtriser le risque. Sont désignés :

  • la sélection prédictive/science du comportement : ils citent la pratique d’une activité physique, le nombre de pas quotidiens ou la consommation de produits sains (des expériences existent à l’étranger)
  • et/ou simplement l’élargissement de la segmentation existante à d’autres critères comme le niveau de vie, d’éducation, les revenus (déjà un peu captés par la catégorie socio-professionnelle) ou le lieu d’habitation avec un zonier comme ce qui se pratique en tarification des assurances complémentaires santé.

Évidemment tous soulignent que toute question potentiellement assimilable à un recueil de données dans un but de sélection de la santé de l’assuré, même anonymisée, doit être rédigée dans le respect du Règlement Général de Protection des Données (RGPD). Un répondant souligne la nécessité par ailleurs que ces critères alternatifs soient suffisamment robustes pour ne pas être contestables en cas de fausse déclaration.

Les avis divergent sur le seuil de gain technique à partir duquel il serait intéressant d’envisager de tels critères alternatifs : deux répondants évoquent un seuil de 5%, un autre un seuil de 15%, un répondant évoque un gain d’au moins 50% du gain existant sur les contrats avec sélection médicale, mais d’autres soulignent que :

  • le marché ne nécessite pas un gain technique, il s’agit plutôt de conserver le gain qui existe,
  • l’enjeu actuel est d’accroître la distribution,
  • chaque organisme définit sa propre appétence au risque,
  • l’approche en termes de S/P n’est pas pertinente, il faut surtout se prémunir contre l’anti-sélection.

Finalement peu d’assureurs ou réassureurs ont déployé ou envisagent de mettre en place des critères alternatifs de sélection. En effet, la plupart ont conscience que cette démarche pourrait être contraire à l’esprit de la loi, qui a pour but de permettre au plus grand nombre d’accéder à l’assurance de prêt en interdisant le recueil des données de santé. Certains envisagent une maîtrise des risques plutôt par l’action sur les franchises, l’exclusion de certains types de prêt ou des regroupements de crédits – limiter l’assurance emprunteur au crédit pour l’achat de la résidence principale –, la suppression de la possibilité d’avoir un autre bénéficiaire que la banque.

Si des critères alternatifs de sélection des risques devaient néanmoins être mis en place en nécessitant le recours à des solutions innovantes, il a été souligné que l’arbitrage entre un développement en interne ou une solution externe dépendra de deux critères :

  • Stratégique : Est-ce que ce développement répond à une attente sur le cœur de métier de l’entreprise ? Est-ce qu’une solution existe sur le marché ou non ?
  • Économique : Évaluation du budget et des moyens à allouer avant de prendre la décision, les petites entités privilégiant vraisemblablement les solutions externes.

 

Quelques acteurs privilégieraient des solutions développées en interne, l’un le justifiant par le fait que la vérification du respect par des partenaires externes du processus RGPD est un processus lourd.

 

Par ailleurs, si certains critères alternatifs de sélection des risques nécessitaient une collecte de données client, la plupart des répondants préfèreraient récolter ces données directement auprès de l’assuré, via leurs partenaires distributeurs éventuellement mais pas via l’internet des objets (iot), afin d’en garder la propriété et d’avoir une meilleure qualité de la donnée.

 

Cette qualité de la donnée est assurée, dans les organismes des répondants, par les actuaires ou les data scientists. Cependant, il a été indiqué que 3 types de données sont à distinguer, certaines pouvant entraîner une fiabilité plus délicate à mesurer :

  • La donnée de base, simple à vérifier. Par exemple la date de naissance, la profession, …
  • La donnée déclarée par l’assuré sur un comportement à tarifer comme fumeur/non-fumeur. L’assuré peut en effet avoir intérêt à déclarer un comportement qui lui est avantageux sur le plan des tarifs et difficile ou coûteux à vérifier par l’assureur.
  • La donnée saisie par un opérateur ou l’assuré comme le motif de résiliation, car la saisie d’une information non fiable entraîne un biais dans les analyses techniques ensuite.

Une solution pour sécuriser la donnée déployée chez un des répondants est une plateforme numérique de transmission des données avec un formatage et une régularité d’alimentation préétablis. Certains estiment nécessaire, face à ce risque de moindre qualité de la donnée, d’ajouter une marge de sécurité, d’autres estiment que les actuaires prennent déjà cela en compte dans leurs modèles avec étude d’impacts. Différentes méthodes sont utilisées pour mesurer a posteriori les impacts d’une nouvelle sélection :

  • Approche en double sur des échantillons de population pour calibrer le modèle prédictif,
  • Étude empirique sur un échantillon représentatif puis projection,
  • Définition d’hypothèses a priori (bien documentées) puis back-testing et mesures de sensibilité.

Un intervenant a souligné l’importance de bien tracer ces contrats dans le système de gestion tant à l’entrée qu’à la sortie, de vérifier avec les services actuariels et les services de distribution si la segmentation et la rentabilité sont conformes à l’attendu et sont également vraisemblables par rapport aux statistiques nationales existantes. Le pilotage s’effectuera ensuite par ajustements successifs.

 

En conclusion, l’impact de l’absence de sélection médicale sur le segment de prêts concerné par la loi Lemoine n’est pas encore visible, seul l’effet d’aubaine tant redouté ne semble pas avoir été constaté mais cela provient peut-être davantage de nouvelles difficultés conjoncturelles d’accès au crédit.

Il faudra vraisemblablement attendre encore 2-3 ans ainsi qu’une reprise du marché des crédits immobiliers pour pouvoir faire des analyses par génération de souscription et mesurer également l’impact des outils de distribution utilisés. Le marché ne semble pas prêt à déployer des critères de sélection alternatifs tant que les questions juridiques et réglementaires ne sont pas résolues.

Si ces critères devaient être déployés dans quelques années, ils le seraient plutôt via des développements en interne, en intégrant en amont une collecte de données clients effectuée auprès du proposant directement et non pas grâce à l’internet des objets. Nous rappelons que les actuaires sont engagés par une norme de pratique NPA5 visant à favoriser la frugalité ou a minima une vigilance accrue dans le traitement éthique des données d’analyse.

Compte tenu de la spécificité de l’assurance emprunteur qui est l’impossibilité de réviser les tarifs annuellement, le rôle des actuaires et des data scientists sera de s’assurer de la meilleure qualité des données possible, pour limiter le niveau des marges de sécurité ajoutées au tarif.




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