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23 septembre 2013

Entretien avec Gabriel Bernardino

Le président de l'EIOPA répond aux interrogations du secteur sur l'IORP II et Solvabilité II.

« En continuant de s'organiser, les autorités réglementaires et les assureurs nous permettront d'être mieux armés »

l'actuariel : L’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) travaille actuellement sur plusieurs grands chantiers, dont Solvabilité II, qui ont pris beaucoup de retard. Quel bilan en tirez-vous ?

Nous sommes dans une situation où la date d’entrée en vigueur de Solvabilité II se rapproche (le 1er janvier 2014 reste la date officielle mais un report à 2016 semble inéluctable, ndlr). Nous observons que la préparation à cette réforme commence à prendre forme au niveau des États membres. Si cela ne se passe pas partout de la même façon, nous serons peut-être confrontés, au moment de l’entrée en vigueur, à des degrés divers de préparation et à la mise en place de dispositions différentes selon les pays. Deux choses ont donc été prises en compte : d’une part, que nous devions nous préparer de manière convergente, d’autre part, que nous devions poursuivre le travail qui a déjà été fait. Nous avons publié une opinion en décembre 2012, avant de mener au printemps et au début de l’été 2013 une consultation sur les mesures préparatoires à la mise en œuvre de Solvabilité II. L’objectif est de poursuivre sur cette lancée et de faire en sorte que les autorités réglementaires et les assureurs continuent à s’organiser de façon à ce que nous puissions être mieux armés.

l'actuariel : Et quid d’IORP II, la réforme sur les fonds de pension professionnels ?

Le faible niveau de confiance dans les clauses et les prestations des fonds de pension professionnels résulte de l’occultation, pendant trop longtemps, de la valeur économique des actifs et passifs financiers et des risques qui leur sont inhérents. L’EIOPA est convaincue que ces fonds doivent avoir des ressources suffisantes pour remplir leurs objectifs en termes de retraite, le tout dans un cadre prudentiel raisonnable mais réaliste, basé sur la transparence (les risques encourus et les règles d’estimation doivent être clairement établis), sur la comparabilité (il devrait être possible de comparer les estimations des engagements des fonds de pension, de même pour la valeur des actifs qui portent ces engagements) et sur l’exhaustivité (tous les mécanismes de sécurité – fonds propres réglementaires, commanditaires, fonds de protection des retraites – ainsi que les mécanismes d’ajustement – indexation conditionnelle, baisse des droits acquis – devraient être présentés de manière explicite).

Cette réforme est importante pour tous les citoyens européens. Elle instaure des principes fondamentaux de durabilité, de gouvernance forte et de totale transparence vers lesquels nous devons tendre. Ces principes sont sans équivoque. Mais ils doivent être mis en œuvre en étroite coopération et dans un esprit de dialogue entre les différents acteurs impliqués, et ce avec le temps nécessaire pour tester et trouver les solutions les plus adéquates. Je suis sûr que nous allons moderniser l’Union européenne (UE) et ainsi encourager, au bénéfice des employeurs et des employés, le développement des fonds de pension. L’EIOPA est résolue à atteindre ces objectifs. Ensemble, nous allons parvenir à construire un cadre qui va nous profiter, ainsi qu’à nos enfants et aux générations futures.

J’accueille favorablement l’annonce de la Commission européenne, qui a fait part de son intention de présenter plus tard dans l’année une proposition de directive sur la gouvernance et la supervision des fonds de pension (mais pas leur solvabilité, ndlr). Je suis également ravi qu’elle ait indiqué que des travaux techniques supplémentaires étaient nécessaires en matière de bilan holistique. Les études d’impact quantitatives (QIS) ont confirmé les questions posées et ont identifié de nouveaux aspects des spécifications techniques qui requièrent des analyses complémentaires. L’EIOPA fera le travail qui doit être fait.

l'actuariel : Pouvez-vous préciser les calendriers de Solvabilité II et d’IORP II ? Et concrètement, comment se passent les transpositions ?

Le scénario actuel veut que nous parvenions à un accord politique et que Solvabilité II soit ensuite mise en œuvre. Je suis persuadé qu’il est toujours possible que cela se fasse en 2016. Nous savons tous que des décisions finales doivent être prises au niveau politique plus tard dans l’année, principalement concernant des aspects liés au premier pilier (consacré aux exigences quantitatives en capital, ndlr). Pour la directive IORP, l’approche sera graduelle. L’EIOPA va continuer de travailler sur ce dossier essentiel.

l'actuariel : Comment l’EIOPA parvient-elle à garantir son indépendance opérationnelle ?

L’EIOPA protège l’intérêt public. C’est une autorité européenne de surveillance indépendante dotée de la personnalité juridique. Nous devons répondre de nos actes devant le Parlement européen et le Conseil de l’UE. En matière de renforcement de notre indépendance opérationnelle, notre principal défi est d’obtenir les ressources financières et humaines adaptées. Nous avons besoin d’être financés par une ligne de budget distincte au sein du budget général de l’UE. Nous pourrions par ailleurs envisager un financement partiel par le biais de cotisations collectées auprès des entreprises, en ligne avec l’évolution du mandat et des pouvoirs de l’autorité. Il s’agit aussi d’aller vers une plus grande flexibilité au niveau du cadre budgétaire, pour continuer à attirer des profils d’employés très qualifiés. C’est nécessaire afin que l’autorité remplisse son rôle dans la mise en œuvre de Solvabilité II et développe sa mission d’aiguilleur indépendant. L’EIOPA doit enfin avoir un système de prise de décision plus performant afin de s’assurer de pouvoir agir rapidement et efficacement et d’éviter les conflits d’intérêts avec les mandats des autorités nationales compétentes, par exemple en cas de gestion de crise ou de manquement aux lois communautaires.

l'actuariel : La FFSA et son homologue allemand, le GDV, ne sont pas totalement en phase concernant l’évaluation des garanties de long terme (LTGA) faite par l’EIOPA dans son rapport de juin. Qu’en pensez-vous ?

Le rapport sur les LTGA apporte de réelles solutions. Nous croyons fermement qu’il est possible d’aller de l’avant. Je connais et je respecte la position de l’industrie sur ce sujet mais ce n’est pas à moi de réagir à cela. Les décisions doivent être prises au niveau politique.

l'actuariel : Par rapport au pilier 1 de Solvabilité II, y a-t-il une solution technique pour les branches longues alors que l’on vient de renoncer à en trouver une pour IORP II ?

Nous sommes en train de mener des analyses techniques complémentaires. Les efforts de l’EIOPA sur les LTGA constituent une bonne base pour les contrats à long terme (LTA). Il est essentiel, pour la protection et la stabilité financière des assurés, que Solvabilité II reflète de manière appropriée les positions financières à long terme et l’exposition au risque des assureurs proposant des LTA. Nous avons besoin d’un cadre solide qui permette de fixer le bon prix pour chaque option comprise dans les contrats et qui saisisse la vraie réalité économique de la gestion actif/passif des assureurs.

l'actuariel : Comment assurer la neutralité réglementaire entre assurance et fonds de pension pour les régimes de retraite ?

Les mêmes problèmes devraient être abordés avec les mêmes dispositions réglementaires. Mais avec les fonds de pension, la réalité est plurielle. C’est pourquoi IORP II n’est pas une copie de Solvabilité II. Je crois qu’il est possible d’arriver à un consensus dans des domaines comme la gouvernance ou l’importance d’une bonne application du risk management. Faire les choses de manière cohérente ne veut pas dire tout faire à l’identique. Parfois, les différences entre les fonds de pension et les assurances nécessitent des approches variées. De plus, les fonds de pension en Europe sont très divers et dans certains États membres, le cadre réglementaire n’est pas le même pour les fonds et pour les assurances. Cette diversité doit être respectée.

l'actuariel : En tant que superviseur, comment voyez-vous le rôle des actuaires évoluer dans les prochaines années, notamment dans le cadre de la mise en place des nouvelles réglementations ?

L’importance des actuaires dans l’évolution de l’assurance et des fonds de pension est indéniable, que ce soit en matière d’exigences en capital dans le cadre de Solvabilité II, de garanties à long terme ou de bilan holistique pour les fonds de pension. Ces nouvelles règles vont être mises en place. Je suis convaincu que la profession actuarielle doit s’orienter vers l’Enterprise Risk Management et faire plus d’efforts de communication afin de pouvoir expliquer clairement aux membres des instances dirigeantes de leurs entreprises les conclusions de leurs travaux. Leur rôle en ressortira renforcé. L’implication et l’interaction des actuaires avec l’EIOPA sont très appréciées. Des actuaires font partie des groupes d’intérêts consultatifs (« stakeholders groups ») de l’EIOPA et assistent ainsi à des réunions au plus haut niveau. L’autorité a également des liens avec l’association Groupe consultatif actuariel européen, qui est l’une des parties prenantes de ses consultations informelles. Généralement, les actuaires sont en contact étroit avec le personnel de l’EIOPA.

l'actuariel : Comment la France est-elle vue du côté de Francfort, où sont basées l’EIOPA et la Banque centrale européenne (BCE), et de Bruxelles, en termes de contribution aux réglementations, de qualité du contrôle, de niveau de risque du marché ?

La France est un pays très important, avec un marché développé. L’expérience française en matière de supervision est un atout majeur pour l’EIOPA. Tous les pays européens, dont la France, travaillent avec ses différents organes, que cela soit le conseil des superviseurs, les groupes de travail ou les groupes d’intérêts consultatifs. Tous ont le même objectif de stabilité financière et de protection du consommateur.

l'actuariel : Estimez-vous que si une réforme comme Solvabilité II avait été en application il y a cinq ans, elle aurait permis d’éviter certaines dérives ?

Oui, la situation des assureurs et des assurés aurait été plus confortable. Les défis des cinq dernières années, parmi lesquels le faible niveau des taux d’intérêts, auraient été mieux traités. Solvabilité II va renforcer la transparence sur les risques et, pour les autorités de supervision, va agir en catalyseur d’une intervention précoce et préventive.

Propos recueillis par Florence Puybareau

Traduit de l’anglais par Vadim Grivot

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