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14 mars 2016

Entretien avec Nicolas Moreau

Le président directeur général d'Axa répond sur les taux bas, solvabilité II, les objets connectés.

 « Les actuaires sortent renforcés de Solvabilité II »

 

L'actuariel : Les taux d’intérêt continuent d’être très bas. Comment les assureurs peuvent-ils gérer ce phénomène ?

Nicolas Moreau : En effet, la baisse ne s’est pas enrayée. Les taux français à dix ans sont à 0,6 %. Et à cinq ans l’État français s’endette à des taux négatifs. Ce phénomène est lié au fait que les banques centrales font de la relance en noyant l’économie de liquidités. Nous, assureurs – et donc investisseurs longs par nature – nous en souffrons et nos clients aussi. Mais les assureurs japonais ont subi ce régime pendant une vingtaine d’années. Pour nous, cela peut durer très longtemps. Nous sommes donc obligés d’investir et de nous adapter car nous avons encore des flux positifs dans nos fonds généraux et des obligations qui viennent à échéance. Cela nous incite à diversifier notre portefeuille et à pousser nos clients vers la diversification de leur propre portefeuille. En effet, lorsque l’on investit pour préparer sa retraite, est-ce raisonnable de tout mettre dans des obligations qui rapportent 2 % par an ? Il faut diversifier les revenus sinon nous sommes potentiellement en risque en cas de remontée des taux et de retour de l’inflation.

L'actuariel : Est-ce que l’euro-croissance peut être un de ces éléments de diversification ?

N.M. : Servir de la performance est très difficile dans cet environnement de taux bas. Le contrat euro-croissance est plus intéressant que les fonds euros, qui offrent une garantie de liquidité à tout moment. L’euro-croissance fige la liquidité sur une certaine période puisque le capital est garanti au terme du contrat. Cela permet à l’assureur de se donner une plus grande marge de manœuvre pour investir maintenant. On accuse souvent Solvabilité II de limiter l’investissement en actions. Mais c’est une erreur d’analyse. Ce sont nos contraintes d’actifs/passif qui nous contraignent dans une allocation d’actifs qui ne nous donne pas la latitude nécessaire pour investir en actions.

L'actuariel : Et dans le contexte des taux bas, comment gérer la longévité?

N.M. : L’allongement de la durée de la vie – même s’il y a un léger recul en France – est un vrai problème pour les assureurs. Être capable d’assurer la longévité est essentiel socialement et nous devons, en tant qu’assureur, avoir la capacité de le faire. Mais, avec l’environnement de taux bas, il devient plus compliqué d’absorber la dérive de la longévité pour des revenus financiers. Nous devons réfléchir à des ajustements de la participation aux bénéfices des rentes. Celles-ci sont sans cesse revalorisées mais le système n’est plus tenable. Il faudrait à l’avenir prévoir une revalorisation négative des rentes sinon beaucoup d’assureurs vont cesser d’assurer la longévité. C’est une piste de travail à laquelle nous réfléchissons et sur laquelle les actuaires ont leur mot à dire. Toute la communauté doit abonder.

L'actuariel : Quelle est votre analyse de la conjoncture économique ?

N.M. : Nous sommes confrontés à plusieurs chocs simultanément. Cependant je ne suis pas pessimiste car il peut en sortir des éléments positifs. D’abord, le choc pétrolier, qui devrait être bénéfique. Il est souvent question des victimes de ce choc mais jamais des gagnants : les compagnies aériennes, les consommateurs… Ensuite, il y a la crise des pays émergents. C’est une crise de croissance, de gouvernance, qui nécessite des ajustements. À terme, ces pays vont renouer avec la croissance. Notre mission est d’anticiper ce futur. Enfin, les modèles économiques en place sont bouleversés par de nouveaux acteurs. Cela nous oblige à être prudents tout en étant agiles et mobiles et à avoir une bonne connaissance du risque. Chez Axa, la diversification de notre portefeuille doit aider à absorber ces chocs.

L'actuariel : Que pensez-vous de Solvabilité II et notamment de la mise en place de la fonction actuarielle ?

N.M. : L’environnement de Solvabilité II est une bonne chose car il pousse le management à mesurer et à comprendre le risque. Nous sommes obligés de réaliser une cartographie opérationnelle des risques et d’avoir une direction des risques identifiée, ce qui n’était pas le cas avec Solvabilité I. Cette approche par le risque est un élément puissant qui structure le management de l’entreprise. Quant à la mise en place de la fonction actuarielle, c’est important puisque l’actuaire doit certifier les réserves, qui sont une énorme partie du bilan. Sa position est de protéger le bilan de l’entreprise. Solvabilité II étant une approche par les risques, les actuaires en sortent renforcés dans leur rôle de colonne vertébrale de l’entreprise.

L'actuariel : Quel conseil donneriez-vous à un jeune actuaire qui entre dans la vie professionnelle ?

N.M. : De s’intéresser au Big Data. Au-delà de la mesure du risque, le Big Data, c’est l’actuaire 2.0 car il va permettre d’utiliser l’ensemble des données de l’assureur pour développer des activités commerciales. Mais le Big Data suppose d’avoir un rôle très actif qui repose sur des données « fraîches », en temps réel, alors qu’aujourd’hui les actuaires utilisent des données du passé. Il est donc primordial que les actuaires se forment, fassent de la programmation pour évoluer vers le Big Data. Certains veulent opposer data scientists et actuaires. Pour moi, c’est comme le médecin et le biologiste. Les méthodes sont différentes mais la finalité est la même. Enfin, le Big Data permet aussi de mieux cartographier et gérer nos risques.

L'actuariel : Et qu’en est-il des objets connectés, un sujet sur lequel les assureurs semblent vouloir se positionner ?

N.M. : Pour l’assurance, le champ le plus important des objets connectés se situe dans le monde de l’entreprise. L’objectif est de faire baisser les risques en installant des capteurs pour développer la prévention sur les chantiers, sur les engins agricoles, dans les locaux industriels… Concernant les particuliers et particulièrement dans le secteur automobile il y a aujourd’hui beaucoup de réactions mais demain ces technologies seront admises. C’est un faux débat. Le principe fonctionne en Grande-Bretagne et en Italie, où un jeune conducteur peut diviser par deux sa prime d’assurance s’il accepte un boîtier embarqué. Dans le domaine de l’habitation, l’assureur est légitime à installer des objets connectés et cela est bien accepté des clients. Enfin, dans la santé, l’assureur est là pour financer les soins de ses clients. Nous sommes prêts à prendre en charge l’objet dans la chaîne patient/médecin, dans l’objectif de mieux accompagner le soignant mais pas à utiliser les objets connectés pour faire de la sélection médicale ou de la tarification différenciée.

L'actuariel : Quelle est votre approche des grands risques ?

N.M. : Il y a deux catégories de grands risques. D’abord les catastrophes naturelles, les pandémies… des risques qui ne sont pas nouveaux. Et puis les nouveaux ou risques futurs, comme le cyber ou les nanotechnologies. Concernant le risque CATNAT, nous travaillons beaucoup avec les autorités sur la prévention afin d’éviter la catastrophe. Nous savons que certaines zones côtières vont être inondées, il faut absolument adapter le mode de construction et les modes de vie. Une fois que le sinistre a eu lieu, les assureurs ne peuvent plus faire partie de la solution. En 2050, pourra-t-on encore assurer les catastrophes naturelles ? La question se pose. Aujourd’hui nous sommes sur des risques budgétairement supportables mais nous devons travailler beaucoup sur la prévention. L’assureur a un rôle à jouer mais il faut agir conjointement avec les pouvoirs publics sur le risque climatique et le développement durable. Sur les risques nouveaux, nous travaillons en amont avec les entreprises. Ce sont de nouveaux champs d’investigation pour les assureurs. Il nous faut être présents afin de proposer de nouveaux produits.

 

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