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06 janvier 2014

Entretien avec Pierre de Villeneuve

Pierre de Villeneuve, PDG de BNP Paribas Cardif, répond aux interrogations du secteur

« Il faut que les compagnies d'assurances se sentent suffisamment libres pour adopter la meilleure gestion »

l'actuariel : Quelles sont, selon vous, les problématiques que rencontre actuellement le secteur de l’assurance ?

Pierre de Villeneuve : Elles sont de deux ordres et concernent tout d’abord le cadre prudentiel : avec la volatilité des marchés, il est important de se préoccuper des équilibres à moyen et long terme. Le deuxième point porte sur la défense du consommateur. Il y a aujourd’hui beaucoup d’intervenants sur le sujet. Si leurs finalités sont louables, on ne mesure pas toujours les impacts concrets. Trop d’instances sur un même sujet peut engendrer un risque de cacophonie, de mauvaise compréhension et des précautions trop coûteuses par rapport aux enjeux. Prenons par exemple les produits d’épargne. Les pouvoirs publics souhaitent développer les informations à destination des clients. Il s’agit d’un principe positif mais il faut que les compagnies d’assurances se sentent suffisamment libres pour adopter la meilleure gestion actif-passif dans l’intérêt de la mutualité. Obliger à fixer les objectifs financiers de la gestion d’actifs qui est mise en face des engagements des assureurs est inopportun et peut coûter cher.

l'actuariel : Mais n’y a-t-il pas de risques de dérapages ? Que deviennent ces engagements avec Solvabilité II ?

P. V. : Je fais la distinction entre la protection et l’information donnée aux clients. S’il y a une certaine liberté pour permettre aux compagnies d’assurances de s’adapter compte tenu de la durée de leurs engagements, il faut bien entendu un cadre prudentiel sérieux afin que la confiance des souscripteurs vis-à-vis des compagnies d’assurances ne soit pas mise en défaut. Solvabilité II est une réforme qui, sur le principe, apporte de réels progrès tant sur les réflexions proposées à l’ensemble des opérateurs qu’au niveau du suivi des engagements. Mais il ne suffit pas de dire que la finalité est bonne pour affirmer que l’ensemble de la réforme est adaptée.

Le pilier 1, quantitatif, est un peu trop sophistiqué à mon sens. Je souhaite une gouvernance permettant d’adapter assez facilement ce qui peut sembler inadéquat. La crise financière a montré que les conditions qui avaient été arrêtées à l’époque étaient trop volatiles et se retournaient contre l’assurance.

Le deuxième pilier, qui concerne la gouvernance, est excellent sur les principes. Mais les modalités ne doivent pas être en contradiction avec les droits du travail de chaque pays. Un groupe international comme le nôtre, présent dans 37 pays, a besoin d’une cohérence d’ensemble. Nous retenons les grands principes de Solvabilité II pour nos engagements dans toutes nos implantations. Néanmoins, chaque marché présente ses spécificités et il n’est pas possible de gérer de la même manière en Asie, en Europe ou en Amérique latine.

En ce qui concerne le pilier 3 sur le reporting, il est louable de demander de l’information mais il ne faut pas que cela soit trop lourd et contraire au type d’information à donner. Selon moi, le plus important est le passif. Donner une information complète actif-passif aux autorités prudentielles n’est pas un problème, mais donner trop d’informations sur l’actif seul aux assurés pourrait engendrer une mauvaise compréhension de leur part.

l'actuariel : Les évolutions de Solvabilité II qui ont été annoncées vont-elles dans le sens que vous préconisez ?

P. V. : Oui, sans le moindre doute. Les dernières avancées permettant d’atténuer la volatilité des marchés sont une très bonne chose. Il est important que nous puissions continuer à faire notre travail de mutualisation dans le temps. Conserver cette mutualité me semble fondamental, car parfois les aspects réglementaires oublient que notre métier consiste à gérer dans le temps. Pour cela, nous devons disposer des moyens de le faire.

l'actuariel : Comment jugez-vous l’avenir du modèle de bancassurance ?

P. V. : Il correspond à un modèle économique qui a fait ses preuves et qui permet de proposer à une large population des produits à des coûts relativement faibles. Par ailleurs, il contribue au développement de l’assurance au profit des autres modes de distribution. Il ne faut pas les opposer : chaque modèle a sa propre valeur ajoutée. Une distribution des produits d’assurance par les banques profite aux courtiers, aux agents généraux, à la vente directe et permet de mieux faire connaître les produits.

l'actuariel : Quelle est votre position sur l’assurance-vie ?

P. V. : Le vieillissement de la population au niveau mondial s’accompagne d’enjeux intergénérationnels. Par conséquent, le besoin de mettre de l’épargne longue de côté pour faire face est une évidence. En France, l’encours de l’assurance-vie ne représente que 14  % du patrimoine des ménages français. Le chiffre peut paraître élevé pour les pays qui disposent de fonds de pension, mais c’est trop peu pour la France. Par ailleurs, l’épargne financière est trop faible par rapport aux besoins de l’économie pour financer les dettes publiques et la croissance des entreprises. S’il y a réinternalisation des ressources en France, elle se joue surtout au niveau du court terme, ce qui est normal, c’est le métier de la banque. En revanche, elle ne doit pas nuire à l’assurance-vie, car l’épargne longue manque.

l'actuariel : Le contrat euro-croissance annoncé par le gouvernement va-t-il dans la bonne direction ?

P. V. : Le diagnostic du rapport Berger-Lefebvre rejoint les réflexions que je viens d’évoquer : l’assurance-vie doit continuer à se développer en France. L’euro-croissance permet à un souscripteur d’avoir dans son contrat des supports de valorisation très complémentaires, dont le fonds croissance avec une garantie à une date donnée prévue contractuellement. Du fait de cette garantie, le fonds croissance se rapproche commercialement du fonds en euros, la différence étant sur la valeur de rachat qui, loin d’être garantie, est totalement dépendante de la valeur à prix de marché de l’actif mis en face de ce fonds croissance. Du fait de l’absence de garantie en cas de rachat, l’assureur peut mettre en place une gestion actif-passif très diversifiée avec une part importante d’actions et générer ainsi sur de moyennes et longues périodes des performances supérieures à celles d’un fonds en euros.

l'actuariel : Que pensez-vous de l’ANI ?

P. V. : Il faut se réjouir de la généralisation d’une complémentaire santé à tous les assurés. Mais je ne crois pas au modèle unique. Nous avons des marchés évolutifs. II faut que les opérateurs contribuent à l’évolution du marché et il est donc nécessaire que la complémentaire santé se développe avec des modes de distribution diversifiés.

l'actuariel : En tant qu’actuaire, comment voyez-vous évoluer le métier, notamment dans le cadre de Solvabilité II ?

P. V. : L’évolution réglementaire met l’accent sur une meilleure appréhension des risques. Les actuaires étant des spécialistes en la matière, ils n’ont pas à être inquiets. Au contraire, ils ont une responsabilité forte pour satisfaire les besoins qui existent dans la gestion des risques. En ce qui concerne leur indépendance, quel que soit le statut de l’actuaire, les différences entre toucher des honoraires et un salaire me paraissent secondaires par rapport à la nécessité de respecter une déontologie, une éthique, surtout lorsque l’on fait partie d’une association professionnelle.

Au-delà du statut administratif, le plus important est de rendre compte. Montrons que la déontologie au niveau de l’actuariat est quelque chose de sérieux, de rassurant, autour de laquelle il n’y a aucune suspicion à avoir.

l'actuariel : Qu’attendez-vous des actuaires et de l’Institut des actuaires ?

P. V. : Outre le bagage scientifique, les actuaires doivent disposer des connaissances économiques, juridiques, comptables et sociales qui s’avèrent indispensables pour appréhender les événements auxquels nous sommes confrontés. Les filières d’actuaires sont de qualité et leur développement est positif. Elles sont complémentaires et offrent une richesse certaine en termes de formation. La question clé concerne le comportement que doivent adopter les actuaires pour s’adapter rapidement aux évolutions auxquelles nous devons faire face. Auparavant, nous raisonnions en fonction du passé, comme si les statistiques pouvaient se prolonger sur les mêmes bases, malgré les phénomènes de rupture. On ne s’interrogeait pas suffisamment sur ce qui pouvait modifier, dans l’avenir, les tendances du passé observées. Désormais, cette réflexion s’impose aux actuaires, dont la responsabilité est d’anticiper ce qui peut advenir. Le métier des actuaires, à savoir l’exploitation des données pour mieux anticiper l’avenir et gérer le risque, va inévitablement changer. Il est important de conserver nos principes en sachant les adapter.

Quant à l’Institut des actuaires, il fonctionne très bien. Ses membres ont beaucoup travaillé sur Solvabilité II. Néanmoins, à mon sens, leur contribution pourrait être plus forte dans les débats de société. En effet, nous évoluons dans un environnement où trop de décisions sont prises à court terme. Il revient aux actuaires d’alerter les décideurs sur les conséquences à long terme de certaines mesures.

l'actuariel : Quelle sera selon vous l’évolution du marché de l’assurance en France dans les prochaines années ?

P. V. : Nous ne sommes plus à l’époque où les groupes d’assurances avaient la prétention de tout faire. L’environnement est de plus en plus volatil et nécessite un grand professionnalisme, une réactivité très forte. Il impose aux assureurs de se concentrer sur quelques métiers, quitte à s’allier avec des opérateurs complémentaires. Il s’agit d’une évolution probable, déjà constatée dans l’industrie. Il convient d’être fort sur les métiers que l’on choisit.

Propos recueillis par Florence Puybareau

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