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06 janvier 2014

L’appétit des assureurs pour le patrimoine des Français

La crise a modifié les choix des Français quant à leurs investissements…

La crise a modifié les choix des Français quant à leurs investissements, les incitant à préférer des produits sans risques. Pour les assureurs, l’enjeu est à la fois de défendre la rentabilité de l’assurance-vie et de renouveler leur offre pour drainer davantage de fonds.

 

La crise a bouleversé les pratiques. Immobilier, livret A, assurance-vie, terrains à bâtir, bijoux… le patrimoine des Français de l’après 2008 n’a plus rien à voir avec celui de leurs parents et grands-parents, qui misaient plus volontiers sur les valeurs mobilières et les placements risqués. Les Français jouent désormais la carte de la sécurité. Changement conjoncturel ou tendance de fond, il a fallu décortiquer, analyser, repenser. Tout particulièrement dans l’assurance, où les capitaux drainés par l’assurance-vie sont essentiels, tant en volume qu’en valeur.

Les livrets en tête des placements financiers

Selon les derniers chiffres de l’Insee, le patrimoine des ménages français s’élève en 2011 à 10 300 milliards d’euros, constitué pour trois quarts d’actifs non financiers (essentiellement de l’immobilier) et pour un quart d’actifs financiers (voir graphique ci-contre). Cette dernière catégorie se compose à hauteur de 30 % de numéraire et de dépôts bancaires. La prégnance des livrets défiscalisés, livret A et de développement durable (LDD, ex-Codevi) en tête, est forte avec une collecte à + 49,2 milliards d’euros en 2012 (voir graphique page 12). Et ce, même si la tendance est à la baisse sur l’année. Quant aux plans épargne logement (PEL), ils restent attractifs mais ont connu, selon l’Insee, un « net repli » en raison d’une évolution législative moins incitative. Côté valeurs mobilières, les actions et titres d’OPCVM pèsent pour 22 %. Ils n’ont cessé de perdre du terrain en raison de la chute des indices boursiers pendant la crise. « Ainsi, de moins en moins de ménages possèdent de plan d’épargne en actions (PEA) ou d’actions sur un compte titres », souligne l’Insee.

Les fonds se dirigent aussi, dans une moindre mesure, vers l’épargne retraite : plan d’épargne retraite populaire (Perp), contrats article 39 ou 83, contrat Madelin ou plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco). Leurs cotisations sont ressorties en 2012 à 11,3 milliards d’euros et stagnent depuis cinq ans autour de ce niveau. Enfin, l’assurance-vie représentait 40 % des actifs financiers en 2011 selon l’Insee et 30 % en 2012 selon la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA). Avec des encours (solde comptable) de 1 400 milliards d’euros, elle a bénéficié du désamour pour les autres supports mais aussi de ses différents points forts (simplicité, souplesse, fiscalité attractive). L’enjeu est donc de taille en termes commerciaux, mais aussi de financement de l’économie. « L’assurance-vie, c’est 54 % de l’épargne longue des ménages, contre 8 % pour les PEL et les plans d’épargne populaire (PEP) bancaires et 38 % pour les autres produits d’épargne (actions, obligations, épargne salariale, etc.) », relève le délégué général de la FFSA, Jean-François Lequoy.

Requete : Article
Titre du lien : Le patrimoine des ménages en 2011
Titre de l'article : Le patrimoine des ménages en 2011 et son évolution 2010-2011 (en %)

L’assurance-vie en recul

Pour autant, la situation est loin d’être rose pour les assureurs. Outre le ralentissement de la progression du patrimoine (4,1 % en 2011 contre 8,1 % un an plus tôt), ils ont vu, année après année, l’assurance-vie perdre du terrain au profit des livrets d’épargne défiscalisés. C’est surtout côté collecte que le bât blesse. À tel point que le placement préféré des Français a affiché en 2012, pour la première fois, une collecte nette négative (rachats supérieurs aux cotisations) de 6,5 milliards d’euros. 2013 s’annonce toutefois sous de meilleurs auspices, avec une collecte nette positive attendue par la FFSA entre 10 milliards et 15 milliards d’euros, mais toujours inférieure à celle des livrets.

Les ménages se sont tournés davantage vers les placements bancaires, présentant à leurs yeux de meilleures garanties de sécurité et de liquidité. Selon Gilles-Emmanuel Bernard, président du comité directeur du think tank pour l’assurance et les services financiers LAB, l’assurance-vie aurait également pâti de « l’instabilité fiscale absolue dans laquelle on se situe en France », qui créerait « un manque de confiance, de lisibilité et de visibilité ».[traitement;requete;objet=article#ID=731#TITLE=La collecte nette de l'assurance-vie]

[traitement;requete;objet=article#ID=665#TITLE=Une fiscalité avantageuse?]

Les contrats en euros font baisser les marges des assureurs

Les assureurs ont tiré plusieurs enseignements de cette situation pour faire évoluer leurs produits. « L’enjeu, c’est de consolider et de développer l’épargne longue afin de financer l’économie et la croissance de demain », souligne Jean-François Lequoy, rappelant que les assureurs investissent à 42 % en France et en quasi-totalité dans la zone euro. Pour cela, il s’agit notamment de revenir sur la garantie en capital à tout moment des fonds en euros (lire page 14), jugée « handicapante » par Gildas Robert, directeur métier en actuariat conseil chez Optimind Winter. Manque de visibilité, besoins accrus en liquidité, cette garantie a contraint les assureurs à investir en masse sur des produits non risqués, principalement des obligations d’État (31 % de l’actif des assureurs français en 2012) et d’entreprises (38 %). Or les rendements des fonds en euros sont à la baisse. Selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ils se sont élevés en 2012 à 2,9 %, hors prélèvements sociaux et inflation, contre 3 % un an plus tôt ou 4 % en 2008. En cause ? L’allocation des contrats, investis à 80 % dans des obligations. L’assurance se trouve ainsi le premier détenteur de la dette publique française. Or, le taux de l’obligation de référence, l’Obligation assimilable du Trésor (OAT) à dix ans, est passé en moyenne mensuelle de 3,2 % en décembre 2011 à 2 % fin 2012, constate l’ACPR, qui précise dans une enquête publiée en juillet 2013 que les deux tiers des assureurs ont revu à la baisse le niveau de revalorisation de leur contrat en 2012 par rapport à 2011, même si 14 % d’entre eux ont choisi de mieux rémunérer leurs clients. Comme l’indique Gildas Robert, face à la baisse des taux, « Les assureurs ont dû rogner sur leur marge pour garantir encore une rémunération à leurs clients ». Et Virak Nou, actuaire responsable du pôle Vie chez Actuaris, de renchérir : « Les assurés participent réglementairement aux bénéfices techniques et financiers des assureurs vie. Mais ces derniers ont la possibilité de conserver, pendant huit ans, cette participation et de la provisionner. Ainsi, même avec des rendements réels proches de 0 %, ils ont pu distribuer 4 % ou 3 % en puisant dans ces réserves pour rester attractifs. »

Dans ce contexte, l’idée des assureurs est naturellement de dynamiser leur allocation d’actifs pour offrir des rendements plus élevés et retrouver des marges en faisant une plus grande place aux actions (17 % des actifs en 2012). En effet, si les unités de compte sont plus exposées aux risques du marché, leur rendement moyen a été de 11,3 % en 2012... Ainsi, les assureurs multiplient les contrats multisupports, panachant à des degrés divers fonds en euros et unités de compte.[traitement;requete;objet=article#ID=667#TITLE=Emmanuel Tassin][traitement;requete;objet=article#ID=669#TITLE=Euro-croissance]

L’obligation pour les assureurs de faire évoluer leur offre

Reste que la réforme européenne de l’assurance Solvabilité II pourrait compliquer le développement des actions dans le portefeuille des assureurs. « L’impact pourrait être négatif sur le rendement, car les assureurs devront, d’une part, financer ce besoin en fonds propres et, d’autre part, sécuriser leurs placements », estimait en décembre 2012 sur le site Internet JOLpress le président de l’Association française d’épargne et de retraite (Afer), Gérard Bekerman. Se pose aussi la question du comportement des Français. La majorité des épargnants se montrent frileux vis-à-vis des investissements risqués et semblent avoir du mal à faire un peu de place aux autres solutions que les fonds en euros qui rassemblent près de 80 % des sommes collectées. Pour preuve, il s’agit du deuxième support le plus envisagé par les Français pour épargner, selon un sondage Ipsos réalisé en janvier 2013. Ils sont même nombreux à choisir les fonds en euros en vue de se constituer un complément de retraite. « Pour un investissement à long terme comme la retraite, miser à 100  % sur les fonds en euros n’est pas une stratégie adéquate. La garantie en capital à tout moment est superflue et l’épargnant est pénalisé par les faibles rendements », juge Corinne Jehl, actuaire et practice leader épargne chez Optimind Winter. D’autant plus que les assureurs proposent également des produits de gestion progressive, qui font basculer des fonds en unités de compte vers les fonds en euros à l’approche de la sortie en capital ou en rente.

Le marché des placements retraite encore à conquérir

Quant à l’épargne retraite, parangon de l’épargne longue, elle ne décolle pas. Selon Jean-François Lequoy, « les épargnants doivent procéder à une analyse plus fine de leurs objectifs et de leurs besoins de garantie en capital ». Et Cyril Jarnias, expert en gestion de patrimoine, d’ajouter : « Il faut aussi renforcer la prévoyance. Mais il s’agit de faire attention aux produits lancés, afin de travailler avec du rendement et le moins de risque possible, dans un monde où ces rendements diminuent. » Les assureurs proposent également de plus en plus de services et de garanties complémentaires, notamment en matière de prévoyance ou de complémentaire santé. Selon Virak Nou : « Les assureurs pourraient lancer des produits ayant une dimension assurantielle plus forte, axés sur la retraite. Ils y ont là un avantage concurrentiel que les banques n’ont pas. »

Vadim Grivot