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18 décembre 2015

La réputation, un actif à préserver

L’image de l’entreprise est devenue un domaine hautement sensible.

L’image de l’entreprise est devenue un domaine hautement sensible. Une faute, un accident, un défaut, une fraude, un mensonge sont autant de risques de mettre en péril l’activité… et autant de raisons de se prémunir de la crise, de l’anticiper et d’apprendre à la gérer.


Le scandale éclate le 18 septembre dernier. Ce jour-là, le monde entier apprend que Volkswagen a dissimulé la non-conformité de ses véhicules. La première sanction tombe quasi instantanément... à la Bourse : en 48 heures, le constructeur automobile perd 14 milliards d’euros de capitalisation boursière. L’image n’est pas ternie qu’auprès des actionnaires. Les clients, s’estimant lésés, montent eux aussi au créneau. « Aux États-Unis, une quarantaine de class actions [actions de groupe, NDLR] ont été lancées dans les jours qui ont suivi les premières révélations », observe Stéphane Choisez, avocat spécialisé en droit des assurances (lire interview). Côté opinion publique, la marque allemande est « cabossée » de toute part. Sur les réseaux sociaux, les internautes multiplient les sarcasmes, dénigrements, détournements de publicités...

La réputation, un actif immatériel de l’entreprise

« A l’heure des nouvelles technologies, l’atteinte à la réputation peut avoir des conséquences immédiates et internationales », reconnaît Matthieu Caillat, directeur adjoint de la souscription d’AXA Corporate Solutions. Une crise réputationnelle, désormais dématérialisée et globalisée, impacte inévitablement l’organisation concernée. « L’image de la marque fait sa valeur : la réputation est devenue un actif immatériel de l’entreprise. Si elle est atteinte, la santé financière de la société peut vaciller », souligne Dominique Bercovici, directeur du département Lignes financières chez le courtier d’assurances Diot. La preuve avec Servier qui, huit ans après le scandale du Mediator, peine toujours à redorer son blason. D’autant que le tribunal a reconnu la responsabilité civile des laboratoires pour avoir laissé sur le marché un médicament défectueux. « La faute entraîne une atteinte à la réputation. Et, de plus en plus souvent, s’ensuit une action juridique. Pour éviter d’être traîné en justice, il convient d’éviter la faute, bien sûr. Mais il faut aussi protéger son image, c’est-à-dire se préparer de façon globale à la moindre atteinte », pointe Stéphane Choisez.
Voilà qui pose la question : comment protéger une réputation ? « Pour ce faire, il faut d’abord définir sa valeur. Mais comment choisit-on de la mesurer ? En fonction du cours de Bourse, du chiffre d’affaires, du volume de ventes, du nombre de clients, de la quantité de brevets déposés, de l’attractivité de la marque employeur ? », interroge Charles-Henri Madinier, directeur du pôle Conseil du courtier d’assurances Marsh France. « Pour les sociétés cotées, on mesure souvent la valeur de la marque, donc de sa réputation, en comparant la capitalisation boursière avec une évaluation économique : par exemple l’appraisal value [un indicateur qui permet de mesurer la valeur d’une entreprise du point de vue de l’actionnaire, NDLR] pour une compagnie d’assurances, remarque Tristan Palerm, actuaire certifié IA, directeur métier Actuariat conseil chez Optimind Winter. Mais ce n’est pas toujours le cas. Pour valoriser une marque et sa réputation, l’approche peut aussi être financière, comptable, commerciale... Il n’existe pas de pratique standardisée. » [traitement;requete;objet=article#ID=1117#TITLE=Quand la réponse assurantielle naît de la crise réputationnelle]

Des solutions assurantielles à différents niveaux

L’absence d’une seule et même définition de la « réputation » complique les questions de sa modélisation et de son assurabilité. « Contrairement à des risques que l’on sait quantifier (risque de marché, de souscription...), le risque de réputation n’est pas appréhendé du point de vue d’un modèle mathématique, il est traité via une analyse de scenarii », dit Dan Chelly, directeur métier en Risk management chez Optimind Winter. Néanmoins, il existe des produits assurantiels en lien avec la réputation, au premier niveau desquels se trouvent les contrats IARD regroupant des garanties de type responsabilité civile, prévention, consulting, frais de gestion... « La plupart de ces produits, proposés par tous les assureurs, permettent de financer les conséquences d’une crise, une fois qu’elle a éclaté : retrait de produits, indemnisation des victimes, frais de communication pour réhabiliter l’image de la marque... », indique Luc Vignancour, directeur adjoint Finpro & Risques spéciaux chez Marsh.
Au niveau supérieur, apparaissent des produits moins classiques, tels les contrats d’assistance à la gestion de crise, ce que propose Allianz Global Corporate & Specialty. Ou encore des contrats qui couvrent les impacts financiers, comme les pertes de marge, liés à la réputation, telle l’offre « Impact Image » de Gras Savoye (voir encadré). « Mais, sur le marché, il y a moins de cent polices de ce type dans le monde », constate Dominique Bercovici. « Pour résumer, il y a trois types d’assureurs et de réassureurs, confie un actuaire qui préfère ne pas être nommé. Ceux qui comprennent votre métier et acceptent de prendre des risques. Ceux qui prétendent pouvoir tout faire mais demandent des scénarisations extrêmement complexes. Et ceux qui proposent des montages via lesquels l’entreprise finance elle-même ses risques. » Chez AXA Corporate Solutions, ce type de montage existe. « Il s’agit de faire le lien entre le caractère aléatoire de l’atteinte à la réputation et son coût : on peut alors construire des solutions d’assurance alternatives, comme avec les captives », explique Marine Charbonnier, directeur Solutions financières d’AXA Corporate Solutions.

Le besoin d’anticiper la crise

Tous les experts s’accordent à dire que la prévention est la pierre angulaire d’une bonne gestion du risque de réputation. « Les plans de gestion de crise doivent être mis en place avant la crise », insiste Étienne Champion, directeur Souscription RC d’AXA Corporate Solutions. Dans cette démarche d’anticipation, de plus en plus d’entreprises ont recours aux tests de plan de continuité d’activité (PCA), que propose par exemple AXA MATRIX Risk Consultants, la filiale d’ingénierie prévention du groupe AXA. «  Ce sont des simulations de crise, suivant des scenarii divers, pour voir comment les équipes réagissent, comment circule l’information, quelle est la qualité des process et de l’organisation... En général il s’agit de tester toute la chaîne, jusqu’à la déclaration, toute prête, du directeur général, pour désamorcer tout de suite une éventuelle campagne de dénigrement médiatique », précise Matthieu Caillat.
La communication de crise apparaît effectivement comme l’un des piliers majeurs pour couper court à tout incendie. « L’exemple de Perrier est assez représentatif, lorsqu’il s’est agi d’enrayer la crise du benzène », illustre Stéphane Choisez. En février 1990, un taux anormalement élevé d’hydrocarbure est détecté dans quelques bouteilles de Perrier. Illico, la marque retire de la vente tous ses produits, partout dans le monde. Le directeur général, Frederick Zimmer, annonce alors : « Nous avons une image de pureté dans le monde entier et nous ne pouvons pas laisser traîner la moindre idée de manque de sincérité. » Un petit mois après, une nouvelle campagne de publicité recentre le message sur la source de Vergèze, dans le Gard, d’où jaillissent les célèbres bulles (et adieu le slogan « Perrier, c’est fou ! »).
Plus récemment, début novembre 2015, la chaîne de restauration rapide Chipotle Mexican Grill (qui compte trois restaurants en France, à Paris et La Défense) a dû faire face à une crise sanitaire aux États-Unis. Des intoxications alimentaires, liées à la bactérie E. coli, ont touché 45 personnes, dont 43 indiquaient avoir pris un repas chez Chipotle. « L’enseigne a immédiatement fermé des dizaines d’établissements, alors même que le lien avec ses restaurants n’avait pas encore été établi », rappelle Stéphane Choisez. Cette réponse, immédiate et radicale, visait notamment à préserver l’image éco-responsable que la marque souhaite construire, par exemple en bannissant de ses tacos les ingrédients à base d’OGM et la viande issue d’animaux élevés aux antibiotiques. « Quand l’éthique fait partie de l’image de marque, le moindre faux pas atteint la réputation, voire l’existence même de l’organisation. Citons l’Association pour la recherche sur le cancer (l’ARC). Le scandale de détournement de millions de francs par le président Jacques Crozemarie a eu raison de l’association », se souvient Dominique Bercovici.[traitement;requete;objet=article#ID=1119#TITLE=Les données sensibles en ligne de mire]

L’étape après crise : restaurer l’image

Si la crise n’a pu être évitée, la réparation des dommages subis et la restauration de l’image sont des chantiers de taille. « Des sociétés sont spécialisées dans le nettoyage du référencement sur Google, afin de faire descendre les informations au fin fond du classement du moteur de recherche », relève Stéphane Choisez. En 2009, alors qu’on dénombre une trentaine de suicides au sein du groupe France Telecom-Orange, le PDG de l’époque, Didier Lombard, parle d’« épidémie de suicides ». Des propos qui passent mal... et que l’on retrouve difficilement, aujourd’hui, sur la toile. Plutôt que de camoufler, d’autres misent sur des actions concrètes pour prouver qu’elles ont appris de leurs erreurs. « Dénoncées pour leurs pratiques de production, certaines grandes marques n’ont d’autre choix que de changer radicalement leurs méthodes », convient Dominique Bercovici. C’est le cas du groupe Nike, auquel a été reproché le travail d’enfants en Indonésie, d’employés-esclaves au Vietnam... En 2005, le géant américain est la première marque de son secteur à communiquer la liste complète de ses sous-traitants chez qui ont été instaurées des normes de travail communes. Et l’équipementier met en place un système de dépôts de plainte garantissant une totale confidentialité pour protéger les victimes de harcèlement dans les usines où sont fabriquées ses baskets.
Ce qui apparaît c’est que la réputation constitue l’un des « biens » les plus précieux de l’entreprise. Son atteinte affaiblit la marque. Les concurrents le savent aussi... Pour la petite histoire, un internaute a écopé d’une amende de 2 500 euros pour avoir émis un faux avis sur une plate-forme en ligne. « Très surfait », « tout en apparat », « l’assiette la mieux garnie est celle de l’addition  », écrivait le critique sur le site des Pages Jaunes. Or, le restaurant visé n’était pas encore ouvert lors de la publication de ce post. Et si c’était un concurrent qui avait émis cet avis défavorable pour nuire à la réputation de l’établissement ? L’atteinte à la réputation peut désormais constituer une nouvelle arme aux mains de la concurrence...[traitement;requete;objet=article#ID=1121#TITLE=Stéphane Choisez, avocat en droit des assurances, associé du cabinet Ngo CohenAmir-Asiani]