Retour au numéro
Partager sur :
Vue 429 fois
30 mai 2016

Microassurance : trouver les clients de demain

Au-delà du relais de croissance, les pays émergents sont de véritables laboratoires d'innovation

 

Et si, à l’avenir, l’industrie de l’assurance occidentale trouvait son relais de croissance dans les pays émergents ? De plus en plus d’acteurs, comme Swiss Re, Allianz et Axa, regardent vers le Sud et développent des produits de microassurance pour 4 milliards de personnes peu ou mal couvertes. Un marché potentiel de 40 milliards de dollars.

 

Quelque 4 milliards de personnes sur la planète seraient non ou mal couvertes par l’assurance, selon les chiffres de Swiss Re. Chez Allianz, on estime que ce marché potentiel recouvre 60 % des foyers les plus pauvres des pays en développement. Soit 3,5 milliards de « consommateurs émergents ». Si le sujet de la microassurance a pu être abordé sous un angle de « responsabilité sociale », les assureurs occidentaux s’éloignent de plus en plus de cette vision RSE au profit d’une approche business. D’où le changement de vocabulaire. « Quand on parle de microassurance, les gens ne sont pas toujours très attentifs, remarque Garance Wattez-Richard, qui vient de prendre en charge la nouvelle activité Emerging Customers d’Axa. Nous ciblons le haut du bas de la pyramide, des personnes en train de migrer vers la classe moyenne : par exemple, le boulanger, la maîtresse d’école et le policier, mais aussi les petits entrepreneurs du secteur informel. Notre objectif est de les accompagner dans leur transition économique et d’empêcher qu’elles retombent dans la pauvreté. » De même, pour Swiss Re, qui a créé en 2011 un département Global Partnership incluant la microassurance, ce marché est au cœur de leur activité commerciale : « Le tsunami qui a ravagé l’Asie du Sud-Est en 2004 a presque été un non-événement pour l’industrie, car les principaux risques assurés étaient ceux des hôtels 5 étoiles et des touristes occidentaux, raconte Mario Wilhelm, en charge de l’offre microassurance chez le réassureur. Notre métier est de gérer le risque et il existe sur la planète un énorme fossé à combler en matière de protection. » Un problème auquel Swiss Re entend contribuer à remédier à travers des contrats de réassurance mais aussi par l’apport d’expertise au secteur public et aux prestataires technologiques intermédiaires.

 

[traitement;requete;objet=article#ID=1189#TITLE=Perspectives de développement du marché de la microassurance]

 

À la recherche du « consommateur émergent »

Sur le terrain, les besoins en matière d’assurance sont vastes : habitation et véhicule, fonds de commerce et production agricole, éducation des enfants, santé et obsèques, pour les plus courants. Pour l’instant, le marché avéré est encore modeste : les statistiques tenues par Munich Re font état de 830 millions de dollars de primes payées en Amérique latine et de 647 millions de dollars en Afrique. Mais, en matière de microassurance, raisonner en dollars ne vient que dans un second temps : comme Facebook, les assureurs comptent d’abord en nombre d’adhérents. Selon Munich Re, un peu plus de 280  millions de personnes seraient ainsi couvertes par au moins une police de microassurance, soit 7,9 % de la population en Amérique latine et 5,4 % en Afrique. La progression est rapide : le nombre des clients d’Allianz a plus que doublé entre fin 2013 et fin 2015, atteignant 58,6 millions. Axa, plus récent sur le sujet, compte 3 millions de ces « clients émergents ».

Le potentiel de 4 milliards de clients identifié par Swiss Re semble toutefois demeurer presque intact. En cause : les multiples obstacles qui se dressent sur la route de l’assureur intéressé par ces clients émergents. Leur faible niveau de revenus tout d’abord, ainsi que leur forte variabilité dans le temps : « Ces clients sont solvables, ils ont des revenus mais nous devons proposer des solutions à très bas coût qui leur soient abordables », explique Garance Wattez-Richard. Ces clients ont également une notion très floue de ce qu’est l’assurance. « Ils connaissent le concept de risque davantage que celui d’assurance. L’enjeu de sensibilisation de ces populations est donc important », précise Mario Wilhelm.

 

Des partenariats avec d’autres services pour atteindre la cible

Ces clients potentiels sont enfin très difficiles d’accès, soit parce qu’ils travaillent dans le secteur informel, sans référence, soit parce qu’ils sont en zone rurale, éloignés de tout. Ce qui rend indispensable la mise en place de partenariats. Ainsi, la majorité des microassurances distribuées par Allianz jusque-là étaient des assurances décès couplées aux crédits octroyés par des institutions de microfinance. Souvent obligatoires, elles sont payées en sus des intérêts par l’emprunteur. Mais les assureurs veulent aujourd’hui aller au-delà. Pour cela, Axa s’est associé à MicroEnsure, un intermédiaire spécialisé dans le montage de produits d’assurance inclusive innovants, en prenant 46 % de son capital. « Du fait de la faible sensibilité des clients finaux à l’assurance, il faut dans un premier temps les aborder par le biais du gratuit et, pour cela, avoir recours à un distributeur qui ne leur fera pas payer la prime », explique Garance Wattez-Richard.

Un des exemples les plus répandus en Afrique est le partenariat avec un opérateur téléphonique qui cherche à fidéliser ses clients en leur disant : « Si vous dépensez pour plus de x dollars par mois de crédits téléphoniques, vous serez couvert contre les accidents. » Reste ensuite pour les assureurs à monter en gamme. « On peut proposer un modèle “freemium”, une partie de la prime étant payée par le partenaire distributeur et le surcoût, permettant par exemple d’assurer d’autres membres de la famille, étant à la charge du client final », détaille Garance Wattez-Richard. Avant la dernière étape : la transformation de l’assuré en un client à part entière de l’assureur. La souscription d’un contrat individuel n’est pas une étape aisée. Allianz, qui s’y est essayé en Inde et en Indonésie l’an dernier, a rencontré des résultats contrastés, en fonction du soutien apporté par le partenaire d’origine.

 

[traitement;requete;objet=article#ID=1193#TITLE=Éric Vivier, actuaire certifié IA]

 

Collecter des données fiables : un défi de taille

L’autre enjeu est de pouvoir collecter des données de qualité. « Beaucoup de nos entreprises fournissent à leurs clients leur toute première police d’assurance, souligne Pritesh Modi, membre qualifié de la Society of Actuaries (SOA), directeur et actuaire en chef pour l’Asie de LeapFrog, un investisseur spécialisé dans le secteur de la microassurance et plus généralement de l’inclusion financière. Le cœur de cette clientèle est exclu des services financiers, car perçu comme trop pauvre (un petit agriculteur en Inde), trop éloigné (un pêcheur en Papouasie-Nouvelle Guinée) ou trop risqué (un client séropositif en Afrique du Sud). La disponibilité de données fiables est donc souvent un challenge que nous devons relever en adoptant des approches non conventionnelles et créatives. » La simplicité des garanties est une des clés. « Souvent, la police doit tenir en deux ou trois SMS ! On ne peut pas questionner les assurés pour affiner leur profil, d’où la mise en place de contrats avec peu ou pas d’exclusions », ajoute Garance Wattez-Richard. La technologie peut aussi lever certains freins, par exemple lorsqu’un satellite mesure si le champ d’un petit agriculteur souffre de sécheresse ou non. C’est également une étape où le rôle des réassureurs est crucial. « Le design des produits peut évoluer dans le temps, au fur et à mesure que sont collectées les données et que l’on identifie mieux les risques », remarque Pritesh Modi.

 

[traitement;requete;objet=article#ID=1191#TITLE=L’exemple qui rit]

 

Un marché riche d’enseignements

La marge de progression de la micro­assurance séduit de plus en plus d’acteurs. LeapFrog a ainsi revendu sa participation au capital de deux assureurs africains à des compagnies occidentales : Express Life au Ghana au britannique Prudential PLC en 2013, et Apollo au Kenya à Swiss Re en 2014, auxquels il faut ajouter un mandat de 350 millions de dollars de l’américain Prudential Financials en janvier 2016 pour investir dans les marchés vie ghanéen, kenyan et nigérian.

Car, outre le potentiel commercial, ces expériences dans les pays du Sud peuvent se révéler source d’inspiration pour le Nord. « Aujourd’hui, les clients des pays développés veulent une offre plus simple et moins chère. L’industrie, elle, fait face à l’arrivée de l’assurtech. Les solutions venues de pays où le contexte réglementaire est moins contraignant et où l’absence de tout impose davantage de créativité peuvent nous apprendre beaucoup », confirme Arnaud Boudesseul, secrétaire général du MIIIR, institut sur la recherche en microassurance. Cette association rattachée à l’Enass/Cnam et à l’Ifpass réfléchit aux questions de microassurance en France et mène un projet d’« écoassurance » avec des mairies franciliennes qui ciblent les populations ayant difficilement accès à l’assurance santé.

Pour Garance Wattez-Richard, cet apport du Sud ira même au-delà de la question des clientèles fragiles : « À travers ces expériences auprès des clients émergents, nous explorons des modèles où les produits sont très simples à comprendre et où l’expérience client est rendue plus fluide par le rôle du mobile ; nous espérons donc qu’elles nous seront utiles dans d’autres pays. » Ce que les économistes appellent l’innovation inversée.

 

[traitement;requete;objet=article#ID=1195#TITLE=Kenya, l’assurance par SMS]