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12 décembre 2018

Pourquoi la santé coûte-t-elle toujours plus cher ?

| IN - METIERS SECTEUR

Le coût de la santé dans le monde ne cesse d’augmenter. En 2018, les dépenses devraient croître encore de 8,4 %. Vieillissement de la population, individualisation des traitements, dégradation des modes de vie, concurrence entre les hôpitaux… si les hypothèses évoquées pour expliquer cette tendance sont nombreuses, le débat reste ouvert.


 

Les dépenses de santé représentent une part toujours plus importante de la richesse mondiale. Les pays de l’OCDE y consacrent désormais autour de 9 % de leur produit intérieur brut (PIB). Après une période de ralentissement liée à la crise économique de 2008, le rythme est reparti à la hausse. Selon le dernier baromètre d’Aon, en 2018, les coûts médicaux devraient augmenter en moyenne pour l’ensemble des pays de 8,4 %, soit 5,3 points de plus que l’inflation. Autrement dit, cette année, les dépenses de santé vont progresser plus de deux fois plus vite que l’ensemble des autres coûts supportés par les ménages et les entreprises.

L’augmentation année après année des coûts semble certaine. Les raisons de cette évolution restent plus nébuleuses, comme le reconnaît Thomas Getzen, qui dirige l’International Health Economics Association, aux États-Unis. « Le prix de la chirurgie, le vieillissement de la population, les scanners PET [avec caméra à positron, NDLR], les expirations de brevet, la grippe, la réglementation, la concurrence entre les hôpitaux, les taxes et encore beaucoup d’autres facteurs peuvent jouer sur les coûts médicaux, détaille l’actuaire, professeur émérite de l’université Temple à Philadelphie, dans son étude « Getzen Model of Long- Run Medical Cost Trends » (2018). Cependant, la réalité est que les prévisionnistes sont incapables de prédire avec assurance les changements de long terme qui vont affecter ces variables à dix ans, ni même de démontrer de façon empirique que ces variables ont réellement affecté la moyenne nationale du coût médical par tête », assène-t-il.

Faute de pouvoir établir des corrélations précises pour l’en- semble des facteurs, les chercheurs explorent plusieurs pistes : le vieillissement de la population, le rattrapage des pays en développement, la dégradation des modes de vie occidentaux ou encore les systèmes de régulation étatiques.

 Hypothèse n°1 : la population vieillit

 L’espérance de vie dans le monde va augmenter d’un an entre 2016 et 2021, de 73 à 74,1 ans, selon la dernière étude (juin 2017) sur le secteur de la santé du cabinet d’analyse indépendant The Economic Intelligence Unit. Ces gains sont essentiellement dus au recul progressif de la mortalité des nourrissons et à la réduction du nombre de décès par maladie infectieuse chez les adultes dans les pays pauvres. Corrélé à une faible natalité, cet allongement de l’espérance de vie provoque un vieillissement de la population dont les conséquences sur le coût de la santé restent un sujet de vifs débats entre scientifiques. « Les optimistes comme James Fries estiment que le progrès permet de comprimer la morbidité en repoussant plus tard l’âge d’apparition des maladies dégénératives. Autrement dit que les personnes âgées peuvent rester de plus en plus longtemps en bonne santé, détaille Claude Le Pen, économiste de la santé, professeur à l’université Paris-Dauphine. Les pessimistes croient au contraire que l’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’une augmentation des pathologies et donc des coûts. Les chiffres leur donnent plutôt raison. Dans le monde, on observe une nette corrélation entre l’augmentation des dépenses de santé et celle de l’espérance de vie. »

Une des explications de cette corrélation repose sur la théorie économique des « luxury goods », qui veut que plus les ménages s’enrichissent plus les dépenses plus proches des nécessités vitales, comme l’alimentation, tiennent une place modeste dans leur budget. L’amélioration générale des niveaux de vie dans le monde aurait alors nettement augmenté la sensibilité à la santé de la population, les jeunes générations consacrant globalement davantage pour ce « bien supérieur » que leurs aînés au même âge. Cela se vérifierait particulièrement chez les seniors. Les octogénaires d’aujourd’hui dépensent en effet beaucoup plus que leurs homologues des années 1970, comme le démontre l’étude de Catherine Bac et Gérard Cornilleau « Comparaison internationale des dépenses de santé : une analyse des évolutions dans sept pays depuis 1970 » (2002). Les économistes ont calculé qu’entre 1970 et 1979 le vieillissement représentait 2 % dans la croissance des dépenses de santé mais que cette part bondissait à 18 % entre 1990 et 1997.

 Hypothèse n°2 : de nouveaux pays tirent les dépenses

La lente standardisation des conditions sanitaires dans le monde participe également à la hausse des dépenses de santé. Certes, des inégalités perdurent : en moyenne 11 365 dollars seront dépensés en 2021 pour les soins de santé d’un Américain contre 53 dollars pour ceux d’un Pakistanais, selon The Economic Intelligence Unit. Mais elles ont structurellement tendance à s’estomper. Les pays dits en développement sont d’ailleurs  devenus les nouvelles locomotives des dépenses de santé. Selon le baromètre Aon, en 2018, les dépenses de santé, nettes de l’inflation, augmenteront de 8,2 % en Amérique du Sud, 7,6 % en Afrique et au Moyen-Orient, 6 % en Asie versus 4,7 % en Amérique du Nord et 4,1 % en Europe.

La Chine, qui s’est lancée depuis 2009 dans de vastes réformes pour moderniser son système de santé, est un parfait exemple de cette transition. « Les maladies non transmissibles ont rem- placé les maladies infectieuses comme principale menace sanitaire : elles sont la cause de plus de 80 % des 10,3 millions de décès par an, décrit ainsi un rapport de la Banque mondiale de 2016. L’incidence de ces maladies est aggravée par des comportements à risques élevés tels que le tabagisme, les styles de vie sédentaires et la consommation d’alcool ainsi que par des facteurs environnementaux tels que la pollution atmosphérique. Par ailleurs, la croissance économique et la hausse des revenus des ménages incitent les Chinois à demander des services de santé plus nombreux et de meilleure qualité. »

Malgré cette demande croissante, le système de santé chinois fonctionne toujours à deux vitesses, ce qui complexifie les tentatives de prévision des dépenses sanitaires. « En Chine, l’évolution des coûts est très différente entre les hôpitaux internationaux, dont les prix augmentent de 10 % par an, et les centres de médecine chinoise traditionnelle, dont les tarifs suivent l’inflation », note ainsi Bruno Devictor, actuaire certifié IA, manager de l’équipe actuariat international chez Henner.

 Hypothèse n°3 : les modes de vie se détériorent

Troisième grand facteur d’inflation des coûts de la santé, la dégradation des modes de vie occidentaux autour du triptyque explosif : drogues, mauvaise alimentation et inactivité physique. Aux États-Unis, cette combinaison a même provoqué un recul de l’espérance de vie en 2016. Les conséquences précises en termes de coûts de cette évolution restent pour autant nébuleuses, les travaux disponibles présentant des résultats très divers. Une des études les plus récentes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « Évaluation du coût économique de la mauvaise alimentation et du manque d’activité physique » (2017), est l’œuvre des chercheurs Christine Joy Candari, Jonathan Cylus et Ellen Nolte. Ils constatent « un rapport de cause à effet entre, d’une part, une mauvaise alimentation et un manque d’activité physique et, d’autre part, des dépenses de santé plus importantes ». Mais, selon eux, « les études existantes sous-estiment la charge économique réelle, car la plupart d’entre elles ne portent que sur le coût pour le système de santé. Les frais indirects entraînés par une perte de productivité pourraient être environ deux fois plus importants que les frais directs pour le système de santé ».

Pour les actuaires, ce domaine d’étude reste aussi embryonnaire. « Il est très difficile d’évaluer l’impact de la dégradation des modes de vie (sédentarisation, mauvaise alimentation…) sur les coûts car nous ne disposons pas de données ciblées sur les modes de vie des patients, du moins en Europe », justifie Patricia Pengov, actuaire certifiée IA, directrice technique et actuariat d’Henner.

 Hypothèse n°4 : les innovations techniques alourdissent la facture

Le progrès technique joue de son côté un rôle essentiel, mais contradictoire, sur le coût des systèmes de santé. « D’un côté, le numérique va permettre de réaliser des économies d’échelle – par exemple, en radiologie, on se dirige clairement vers une lecture automatique des radios – mais, de l’autre, il va pousser à une individualisation des soins, ce qui en augmentera le prix », résume Bruno Devictor. Le coût des nouveaux traitements contre le cancer est particulièrement vertigineux. En France, la facture des traitements en thérapie génique et cellulaire (où l’on réinjecte aux patients leurs propres cellules immunitaires préalablement reprogrammées) peut atteindre ainsi 300 000 euros par patient, pour des populations très restreintes. Ces anticancéreux sont remboursés à 100 % par la Sécurité sociale. Le ministère de la Santé se fixe l’objectif de les financer à la faveur de la réorganisation des soins et de la tarification.

Côté économies, l’intelligence artificielle offre aux médecins des outils précieux pour améliorer la prévention des patients, cibler exactement leurs interventions… « Beaucoup des facteurs responsables de la hausse des coûts médicaux dépendent des comportements individuels. Ils pourraient être modifiés si des supports et des programmes appropriés étaient disponibles », note ainsi Tim Nimmer, l’actuaire en chef de la division santé d’Aon.

Reste que, pour l’instant, les pouvoirs publics, sans qui ces programmes de mise en réseau des acteurs de la santé ne peuvent exister, tâtonnent. Au Canada, la province du Saskatchewan expérimente un programme pilote, Connecting to Care. Le projet est dédié aux patients qui se rendent fréquemment à l’hôpital. L’idée est de personnaliser au plus près les soins apportés à chaque patient, en partageant leurs données de santé avec le réseau local de médecins, d’infirmières… Les économies attendues ne sont pas chiffrées mais elles devraient être conséquentes. Selon une étude de 2014 de Benjamin Slen, qui travaille dans la division développement d’Accredo, un fournisseur américain de produits pharmaceutiques, poser une perfusion d’immunoglobulines par voie intraveineuse au domicile du patient est 62 % moins cher que dans un cabinet médical et 87 % moins cher qu’à l’hôpital.

Hypothèse n°5 : les stratégies politiques influent sur les prix

Les pouvoirs publics, enfin, ont leur mot à dire sur l’évolution du coût de la santé. Leur influence dépend de leur capacité, très variable d’un pays à l’autre, à réguler les prix imposés par les opérateurs et notamment les groupes pharmaceutiques.

« Dans l’assurance santé, le marché a plutôt tendance à augmenter les coûts. La concurrence s’exerce en effet davantage à travers les prestations qu’à travers les coûts, surtout si ceux-ci sont partiellement couverts par un tiers, en l’occurrence l’employeur.

Cela conduit à une population salariée bien couverte à coût élevé, qui coexiste avec des exclus de l’assurance, du côté du “small business” ou des chômeurs par exemple », détaille l’économiste Claude Le Pen.

L’absence de régulation aux États-Unis a laissé libre cours à une vertigineuse inflation des prix. Selon une étude conjointe de l’Institut d’évaluation de la santé de Seattle et de l’école de médecine David Geffen, entre 1996 et 2013, le total des coûts médicaux pour les résidents américains est passé de 1 200 milliards de dollars à 2 100 milliards. Corrigé des effets démographiques, cela représente une hausse du coût des soins de 574 milliards de dollars en dix-sept ans.

Loin du but recherché, les programmes publics Medicare et Medicaid, qui viennent en aide aux ménages non assurés, ont ainsi provoqué une hausse de la demande de soins et offert aux opérateurs la latitude d’augmenter encore leurs tarifs. D’après une étude de l’économiste de la santé de l’université de Princeton Uwe Reinhardt, à services équivalents, les prix des hôpitaux américains sont 60 % plus chers que ceux pratiqués en Europe. En outre, selon le panorama de la santé réalisé par l’OCDE en 2017, « une hausse de 10 % des dépenses de santé par habitant est associée à un allongement de 3,5 mois de l’espérance de vie ». L’augmentation des dépenses de santé n’est alors pas en soi problématique. Tout dépend du prix attribué à ces mois de vie supplémentaires. Ce débat philosophique et éthique explosif reste entier.

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