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28 février 2019

Assurance construction : comprendre les failles pour éviter la crise

| IN - METIERS SECTEUR

Débat : La défaillance en série de plusieurs assureurs et courtiers qui commercialisent des contrats d’assurance construction à bas coût sème le trouble depuis deux ans dans le secteur du BTP. Aux premiers rangs des accusés : la faiblesse des autorités de contrôle et de la supervision européenne.


La gorge nouée, Priscilla Saunier annonce la nouvelle :« Maisonneuve a été placée en liquidation judiciaire au tribunal de Lille Métropole. » Dans une vidéo émouvante postée sur les réseaux sociaux, la présidente de ce constructeur de maisons individuelles de Villeneuve-d’Ascq détaille : « Il y a un an, deux de nos garants et leur intermédiaire, SFS, ont déposé le bilan, ce qui a entraîné pour nous de grandes difficultés, car, ajoute-t-elle, sans garant, un constructeur ne peut plus ouvrir de chantiers. » Cette histoire est l’une des multiples facettes humaines d’une crise qui secoue l’assurance construction depuis deux ans.

Priscilla Saunier ne les a pas nommément cités mais, derrière la fragilisation de sa petite entreprise (35 salariés), se cachent deux noms : CBL et Elite. Inconnus du grand public, ces assureurs low cost étrangers – avec lesquels travaillait le courtier SFS – ont récemment défrayé la chronique. Tous ont fait faillite au même titre que d’autres acteurs – Gable, Alpha et le dernier en date, Qudos – entre la fin 2016 et 2018. Et ce après être intervenus sur le marché du BTP avec des offres très agressives. « Lorsque j’ai repris Groupe Maisonneuve, en 2016, la société allait mal, il a fallu la redresser et je n’avais d’autre choix, dans un premier temps, que d’avoir recours à ces acteurs plus souples que les plus traditionnels », raconte Priscilla Saunier à L’Actuariel, en ajoutant toutefois « ne pas avoir mesuré le risque pris ni qu’elle allait se retrouver face à un mur ». En 2017, elle disposait de 18 millions d’euros d’encours chez les garants. De quoi lui permettre d’ouvrir des chantiers pour ce même montant, par exemple 106 maisons d’une valeur unitaire de 170 000 euros. Plus tard, lorsque les garants Elite, CBL et leur courtier SFS ont déposé le bilan, cette somme a été ramenée à 5 millions, soit une capacité résiduelle de 29 chantiers en simultané. « Deux garants m’ont soutenue et ont augmenté leurs lignes d’encours pour Maisonneuve, mais ils ne pouvaient m’en attribuer plus, car ils ne pouvaient pas couvrir le risque seuls. Grâce à eux, je suis remontée progressivement courant 2018 à une capacité de 70 maisons en construction simultanément, mais mon besoin était au minimum de 110, détaille-t-elle. À partir de novembre, je n’ai plus ouvert de nouveaux chantiers, alors que mon carnet de commandes était plein. N’encaissant plus de fonds, je me suis retrouvée en cessation de paiement courant décembre. »

En France, les entreprises de construction sont obligées d’assurer leur responsabilité à l’ouverture de tout chantier. La couverture court pendant dix ans après la livraison du bâtiment et vise à garantir les dommages matériels les plus graves.

Pour ce faire, nombre d’artisans (étancheurs, carreleurs, etc.), de microentreprises ou encore de sous-traitants du BTP ont succombé aux sirènes des prix compétitifs offerts par ces assureurs low cost. En janvier 2019, la Fédération française de l’assurance (FFA) estimait à 100 000 le nombre de contrats construction en déshérence. Un total sur lequel 20 000 à 30 000 concerneraient l’assurance dommages ouvrage (DO) et 60 000 à 70 000 l’assurance responsabilité civile (RC) ou décennale (RCD). Aux artisans et aux TPE ayant déjà fait les frais de ces dépôts de bilan pourraient s’ajouter des milliers de clients et d’entreprises qui ont fait réaliser des travaux. « Le jour où un sinistre apparaîtra, ils vont se rendre compte que la police n’existe plus », prévient François Malan, vice-président métier et de la formation de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise (Amrae) et président de sa commission construction.

Supervisées par des juridictions plus souples

« Quand on achète une police d’assurance qui coûte 40 % moins cher sur dix ans, on se dit que, forcément, il y a un loup quelque part », ironise un assureur.

Certes, mais souvent les entités concernées n’avaient pas les moyens de trouver d’autres garants ailleurs. À leur décharge également, ces sociétés d’assurances opéraient en toute légalité. Étrangères, elles évoluaient toutes sous le régime de la libre prestation de services (LPS), un dispositif qui permet à un assureur agréé dans un État membre de l’Espace économique européen d’offrir ses services sur le territoire d’un autre pays de l’Union, sans y être forcément établi. Ainsi, ces groupes avaient tous leur siège en dehors de l’Hexagone : au Lichtenstein pour Gable Insurance, à Gibraltar pour Elite, en Irlande pour CBL Insurance Europe et au Danemark pour Alpha et Qudos. « Ces assureurs étrangers avaient leur agrément, leur passeport européen, il n’était donc pas possible de les “blacklister” ni de refuser de travailler avec eux. Ils auraient pu si cela avait été le cas intenter un recours pour pratique discriminatoire à l’égard d’un Européen venant travailler en France », souligne François Malan. Ensemble, ces challengers se partageaient d’ailleurs environ 10 % du marché de l’assurance construction française. « C’est une branche difficile, convient Jean-Luc Bourgault, senior advisor chez NewRe : Sur le papier, les ratios de ces assureurs étrangers sont bons, leur rentabilité est correcte, mais les sinistres à venir ont été sous-estimés, le superviseur n’a pas été en mesure d’évaluer le niveau des réserves à mettre en place pour les sinistres futurs en raison de la couverture longue, de dix ans. »

Cet état de fait explique que bien des alertes données par plusieurs concurrents ou autres organismes soient restées en partie lettre morte, alors même que certains, l’assureur SMA BTP par exemple, avaient tenté d’attirer l’attention sur un point : la faible capitalisation de ces sociétés. « Le fond du problème reste que ces assureurs étrangers se sont lancés dans de l’assurance de niche, sur des lignes hautement spécialisées, sans rien y connaître », résume Jean-Luc Bourgault. Et d’analyser : « Ils ont fait faillite après avoir accepté des affaires à des prix insuffisants, de sorte que, lorsque les sinistres se sont présentés, ils n’avaient pas les réserves suffisantes et, le manque de cash flow s’accumulant, ils ont fini par faire de la cavalerie. » Autrement dit, ils ont eu recours à ce fameux procédé financier où les nouveaux crédits servent à rembourser les emprunts antérieurs.

Améliorer la supervision des acteurs étrangers par les autorités de contrôle françaises

En effet, dans le cadre de ce type de prestations, les assureurs étrangers sont contrôlés par leur superviseur national et non par l’ACPR, l’autorité chargée de la supervision du secteur bancaire et de l’assurance en France. Autrement dit, les exigences en matière de capitaux propres ne sont pas les mêmes pour les assureurs non européens, leurs juridictions d’origine ayant bien souvent la réputation d’être bien plus souples. L’un des problèmes réside dans le fait que « ces autorités de contrôle étrangères n’ont pas connaissance des règles concernant les provisions en France », selon François Malan. Elles ont donc laissé ces assureurs, avides de croissance, distribuer des produits que l’on ne trouve quasiment qu’en France – dommages ouvrage (particuliers) et garanties décennales (entreprises et artisans) – sans les obliger à mettre en face les provisions nécessaires à la couverture de ce risque long. Comment éviter qu’un tel manquement à des règles de base se reproduise ? Certains évoquent le fait que ces assureurs puissent être davantage passés au crible par le superviseur français. « Une solution émerge actuellement en France », estime François Malan, en faisant référence à un amendement à la loi Pacte, « qui crée l’obligation pour les assureurs ayant leur siège social hors de l’Espace économique européen (EEE) d’obtenir l’agrément de l’ACPR pour commercialiser des assurances DO et décennales », poursuit-il. Une telle démarche serait-elle envisageable pour les assureurs établis en Europe ? « Pour l’heure, cet amendement ne sert à rien concernant les assureurs qui sont dans l’EEE », juge un autre acteur, qui préfère rester anonyme. « En cas de Brexit, peut-être que le Royaume-Uni, et a fortiori Gibraltar, territoire britannique, seront concernés, mais on n’en est pas encore là. » D’autres font également valoir qu’une telle solution obligerait sans doute à « redimensionner l’ACPR », dont les ressources budgétaires et en auditeurs sont limitées, tout comme son champ d’intervention l’est aux banques et aux assurances, en excluant le courtage. À la Fédération française de l’assurance, on souligne néanmoins que des discussions sont en cours pour faire comprendre l’importance d’un contrôle redoublé. Cette exigence pourrait d’ailleurs se manifester de bien des manières. « On pourrait par exemple établir de nouvelles règles pour dire que, si un assureur n’est pas spécialisé dans un secteur (par exemple la construction) dans son pays d’origine, une information et un contrôle accrus doivent être réalisés par son autorité de tutelle afin qu’il puisse exercer en toute confiance en France », suggère Arnaud Chneiweiss, délégué général à la FFA.

Élargir le champ d’action de Solvabilité II…

Une autre piste serait de regarder en quoi la directive Solvabilité II pourrait servir à mieux endiguer ce type de dérapages. Dans la lignée de Bâle II, cette réforme réglementaire européenne instaurée en janvier 2016 avait pour objectif de mieux adapter les fonds propres exigés des compagnies d’assurance et de réassurance aux risques que celles-ci encourent dans leur activité. « Il y a effectivement dans Solvabilité II, et plus particulièrement dans le pilier II, des éléments de bonne gouvernance – comme la clarification sur les rôles de chacun – susceptibles d’empêcher ce type de dérives, considère Laurence Bailly, actuaire certifiée IA, directrice générale adjointe finances de Pro BTP Groupe. Le problème réside toutefois dans le fait que seuls les assureurs sont soumis à cette réglementation et pas l’ensemble des intervenants, comme, par exemple, les courtiers. Il faudrait avoir une vision plus globale de la régulation au-delà du seul périmètre des assureurs, car les activités de la chaîne de l’assurance peuvent être sous-traitées, les organisations de cette chaîne se morcellent et cela peut créer de nouveaux risques, ajoute-t-elle. On fait porter à travers Solvabilité II l’essentiel des charges de maîtrise du risque sur l’assureur, or celui-ci ne peut pas tout voir. »

… et donner des pouvoirs au gendarme européen

Pour Arnaud Chneiweiss, le cœur du problème n’est toutefois pas Solvabilité II, mais la nécessité d’une meilleure coordination entre les superviseurs européens. Selon lui, « l’ACPR a pour mission d’avertir les autorités de contrôle du pays d’origine des règles de provisionnement. Nous les avons alertées il y a quatre ans mais c’est principalement au niveau européen que le processus n’est pas aussi fluide qu’il le faudrait ». En d’autres termes, les paradis prudentiels existent dans la mesure où l’autorité de supervision du pays d’origine n’a pas été assez vigilante. Pour y remédier, il faut, dit-il, une meilleure harmonisation au niveau des contrôleurs du Vieux Continent, que ce soit à Paris, La Valette ou ailleurs. Et, condition sine qua non, que l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA, acronyme en anglais) soit dotée de vrais pouvoirs. Car, pour l’heure, ce gendarme européen fait plus office de vigie sans réels moyens coercitifs. Jean-Luc Bourgault considère quant à lui qu’améliorer la qualité de la supervision entre les autorités de contrôle en Europe reste une priorité. « Il faut une plus grande coordination entre elles, soutient-il. La mise en place de Solvabilité II a coûté beaucoup d’argent aux assureurs, ce serait dommage de le dilapider à cause d’une supervision défaillante. » Ces velléités risquent néanmoins de se heurter aux pratiques encore tolérées et pourtant plus en marge de la régulation de certaines juridictions. À ce titre, la zone franche de Gibraltar, qui souhaite attirer des assureurs capables d’opérer à partir de son territoire, n’en est pas à sa première faillite (Enterprise par exemple, en 2016).

« Certes l’ACPR n’a pas un accès direct au reporting réglementaire des assureurs étrangers mais elle peut, si elle a des doutes sur la solvabilité d’un assureur européen, en référer au superviseur dont ce dernier dépend, lequel peut mettre en œuvre son pouvoir de contrôle. C’est également prévu dans Solvabilité II et dans le fonctionnement de l’EIOPA, avance Laurence Bailly. Dans les faits, rien ne s’oppose à l’échange d’informations entre superviseurs au sein de l’Union européenne et, si cela ne fonctionne pas toujours, c’est davantage lié à l’existence de rapports de forces qui peuvent faire obstacle à ces échanges. »

Obtenir réparation auprès de la justice

Montages bancals, liens capitalistiques entre assureur et courtier (CBL était actionnaire de SFS), rôles peu clairs des intermédiaires… Ces paramètres ont favorisé la faillite en cascade de ces groupes. La FFA pointe par exemple du doigt le statut ambivalent de SFS et le fait que ce dernier agissait en qualité à la fois de courtier et de mandataire de compagnies d’assurance et ne respectait ni les règles en matière d’assurance ni les directives françaises et européennes sur l’intermédiation d’assurance. « En étant grossiste, il passait par d’autres courtiers pour distribuer ses produits et n’était pas en lien avec le client final. À ce titre, il n’était pas contraint en termes de devoir de conseil, de même que, n’étant pas assureur, il n’était pas contraint non plus sur sa solvabilité », explique Arnaud Chneiweiss. Cette double casquette lui a d’ailleurs valu d’être sanctionné. Le 21 décembre 2017, le Commissariat aux assurances luxembourgeois l’a condamné pour « exercice illégal d’une activité de mandataire de compagnies d’assurance, sachant qu’il est interdit au Luxembourg, pour une même entité, de cumuler l’activité de mandataire et celle de courtier », rappelle le cabinet d’avocats lyonnais Perséa. Côté assurés, aucune action de grande ampleur n’a été intentée. Mais il n’est pas exclu de voir un jour un artisan ou un maître d’ouvrage – qui n’a plus de couverture sur la base d’un défaut de conseil – entamer une recherche sur la responsabilité civile du courtier. « Si le courtier n’est pas tenu de vérifier la solvabilité de l’assureur, il a néanmoins un rôle de conseil, indique François Malan. En tant qu’intermédiaire, il pourrait voir sa responsabilité engagée et être assigné devant la justice. »

Quel recours ?

Vu la complexité des dossiers, la vigilance reste le meilleur atout pour s’épargner de telles déconvenues. D’autant que les recours pour les victimes sont minces.

« Les compagnies étrangères n’étant pas soumises au contrôle de l’État français, elles ne bénéficient pas de la protection instituée avec le fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) », rappelle Aurélie Montané-Marijon, avocate au cabinet Selarl Verbateam à Lyon. « Le périmètre d’intervention du FGAO a été élargi seulement pour les contrats signés ou renouvelés à partir du 1er juillet 2018, auprès des particuliers victimes de la défaillance d’assureurs étrangers spécialisés en dommages ouvrage et pratiquant la LPS. Malheureusement, les quatre sociétés susnommées n’entrent pas dans ce périmètre. » S’il est déjà trop tard, les professionnels ont néanmoins tout intérêt à se rapprocher au plus vite d’un assureur agréé en France qui propose la reprise du passif. Et les particuliers de leur courtier. « Le suivi tend à montrer qu’un certain nombre d’assureurs ont accepté des reprises avec un passé inconnu », soulignait en janvier dans la presse Stéphane Pénet, directeur des assurances de biens et de responsabilités à la FFA. Ce n’est cependant pas le cas de tous.

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