Retour au numéro
Partager sur :
Vue 3576 fois
15 septembre 2015

Risques climatiques: les assureurs au premier plan

La conférence sur le climat est l'occasion de s'interroger sur les risques climatiques, et la manière dont les assureurs peuvent les appréhender.

Si l’activité humaine a une incidence certaine sur le climat, ses conséquences directes sur la survenance et l’intensité des phénomènes extrêmes sont encore difficiles à mesurer. Pour les professionnels  de l’assurance, l’un des enjeux prioritaires est de connaître leur exposition à ces risques climatiques.

 

Annoncée à grands renforts de publicité, la conférence internationale sur le climat (COP 21) qui se déroulera à Paris du 30 novembre au 11 décembre tiendra-t-elle ses promesses ? À savoir, en priorité, un accord international sur une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre (40 % pour l’Union européenne d’ici à 2030, 26 % pour les États-Unis d’ici à 2025…) ? Ou bien, comme la plupart des événements du genre qui l’ont précédée, ne sera-t-elle qu’une chambre d’enregistrement de phénomènes avérés (montée des températures, fontes de glaciers…) dont la gravité ne cesse de s’amplifier ? Difficile à ce jour de répondre, car si l’immense majorité des climatologues ne conteste plus l’idée d’un réchauffement actuel et à venir, les causes et les conséquences du changement climatique font amplement débat. Les derniers travaux du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) publiés en 2013 et 2014 montrent que la Terre s’est réchauffée de 0,85 degré Celsius depuis l’époque préindustrielle (avant 1750). Mais le phénomène s’accélère depuis trente ans : 2014 a été considérée comme l’année la plus chaude sur le globe depuis que les relevés météorologiques sont capables d’établir ce genre de calculs. Selon les experts du Giec, cette tendance haussière devrait se poursuivre avec une augmentation minimale de 2 degrés (seuil pour lequel il est communément admis que des changements climatiques importants sont à prévoir) d’ici à 2030 et jusqu’à + 4,8 degrés d’ici à 2100.

Le réchauffement climatique n’est pourtant pas un fait nouveau. Mais jusqu’au xxe siècle, les hausses de température, essentiellement provoquées par le forçage radiatif naturel1, étaient des phénomènes lents dans le temps. Pour le Giec, le brutal et rapide changement que nous enregistrons depuis quelques décennies est directement lié à l’activité humaine2. « Les émissions anthropiques [issues de l’activité humaine] totales de gaz à effet de serre ont été les plus importantes de toute l’histoire de l’humanité entre 2000 et 2010. Environ la moitié des émissions anthropiques cumulées entre 1750 et 2010 ont eu lieu au cours des quarante dernières années. » Selon les experts, les « croissances économique et démographique sont les moteurs les plus importants de l’augmentation des émissions de CO2 dues à l’utilisation des combustibles fossiles ».

[traitement;requete;objet=article#ID=1077#TITLE=Risques et catastrophes climatiques]

Des événements mieux observés

Le réchauffement climatique, qu’il soit lié à des forçages radiatifs naturels ou humains, a de nombreuses conséquences sur l’environnement. Par exemple sur le niveau de la mer. Ainsi, avec la fonte des calottes glaciaires, les scientifiques du Giec tablent sur une augmentation moyenne de 26 cm à 1 mètre d’ici à 2100, un chiffre qui a été revu à la hausse depuis le précédent rapport du Giec en 2007, qui annonçait entre 18 et 59 cm d’élévation. Néanmoins, s’il est probable que cette montée des eaux maritimes va submerger certaines zones côtières et causer des érosions du littoral, la plupart des spécialistes restent prudents sur les impacts réels du réchauffement climatique. Le conditionnel est toujours de mise : « Cela peut entraîner des changements dans la probabilité de survenance ou de l’intensité des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes, tels que les événements de précipitations extrêmes ou de vagues de chaleur. Cependant, il apparaît que les observations historiques et récentes ne suffisent pas à déterminer le sens précis des tendances de l’intensité et de la fréquence des événements catastrophiques », souligne Julien Tomas, post-doctorant à l’Isfa et auteur d’une note intitulée « Gestion des risques naturels et changement climatique : les challenges des actuaires »3.

Une telle prudence s’explique par la multitude de paramètres requis pour établir des projections sur le climat et sur ses conséquences. Or, la climatologie et la météorologie sont des sciences jeunes. Longtemps, les tempêtes maritimes n’étaient connues qu’au travers des récits des capitaines de bateaux. Il faudra attendre le milieu du xixe siècle et surtout les observations satellitaires à partir des années 1960 pour avoir des enregistrements fiables. Mais cette temporalité reste encore insuffisante. « Nous avons de plus en plus d’informations, mais il y a un problème de profondeur historique », explique-t-on à la CCR, qui a même recruté un historien du climat afin de retrouver dans les archives des données sur l’antériorité des phénomènes. « Si l’on prend les cyclones tropicaux, il est difficile d’émettre des affirmations définitives sur les tendances à long terme en raison de la limite des observations passées », explique pour sa part Julien Tomas. Par ailleurs, l’amélioration des capacités d’observation peut déformer les résultats. Lorsqu’ils sont systématiquement enregistrés, certains événements climatiques comme les tempêtes de courte durée (deux jours), peuvent apparaître plus fréquents. « Des recherches historiques nous montrent que nous avons déjà connu il y a deux cents ans des augmentations de la fréquence de certains phénomènes », rappelle David Moncoulon, responsable du service recherche & développement de CCR, qui reconnaît que des corrélations semblent pouvoir être établies. Les nombreux événements qui ont touché le sud de la France à la fin de l’année dernière étaient vraisemblablement liés à une hausse de la température de la mer Méditerranée. Mais même s’ils s’accélèrent, ces cycles ont sans doute déjà existé. »

[traitement;requete;objet=article#ID=1079#TITLE=Entretien avec Henry Bovy]

Une plus grande exposition  aux risques

L’incertitude porte autant sur la survenance que sur les impacts. L’accroissement démographique, les migrations de population, notamment vers les zones côtières et/ou les villes, les aménagements agricoles… tous ces éléments de l’activité humaine entrent en compte dans le niveau d’incidence des catastrophes climatiques. Il est donc essentiel pour les assureurs de pouvoir modéliser ces risques afin de mesurer les degrés d’exposition de leurs portefeuilles et d’appréhender les évolutions potentielles. Chaque année, les catastrophes climatiques (généralement intégrées dans la catégorie des catastrophes naturelles…) coûtent en effet des milliards de dollars aux compagnies. Et encore, il ne s’agit principalement que des pertes subies dans les pays où l’assurance est bien développée (Amérique du Nord, Europe, Australie, Japon…). Au niveau mondial, à chaque décennie depuis les années 1980, les préjudices assurés associés aux catastrophes météorologiques et climatiques ont plus que doublé. Les statistiques publiées par Munich Re (cf. graphiques p. 12) montrent qu’en 2014 les sinistres dus à des événements climatologiques, hydrologiques et météorologiques ont coûté près de 100 milliards de dollars dont 30 milliards de pertes assurées. Au fil des années, les montants augmentent du fait de la hausse des valeurs assurées et aussi du nombre de déclarations. Et les conséquences sur les produits d’assurance sont multiples : dommages aux biens, santé, agriculture, automobile, pertes d’exploitation pour les entreprises…

[traitement;requete;objet=article#ID=1081#TITLE=Des risques climatiques hautement spéculatifs]

Le recours des assureurs  aux diverses compétences

Certains assureurs et réassureurs, à l’instar de CCR, Scor ou Generali, n’hésitent pas à monter des équipes multidisciplinaires qui regroupent des actuaires, des géographes, des météorologues… « Il y a des situations très difficiles à modéliser comme le risque d’inondation. Il faut récupérer toutes les bases de données sur l’exposition. Des outils de simulations complexes et une expertise géographique pointue sont nécessaires », confirme Laurent Berthaut, actuaire certifié IA, responsable de l’actuariat pour l’Europe Continentale chez ACE. Les compagnies doivent  aussi faire face à des populations et des pouvoirs publics de plus en plus exigeants. Or, explique Antoine Quantin, actuaire associé IA, directeur adjoint des réassurances et fonds publics de CCR, « il est difficile d’analyser de manière totalement fiable une situation locale. La modélisation doit permettre d’avoir des ordres de grandeur. Afin d’affiner nos projections, nous devons également faire des projections sur la démographie et l’aménagement urbain. » L’objectif à terme est de pouvoir s’intégrer dans des chaînes de modélisation en temps réel (avec les météorologues notamment) afin de pouvoir intervenir en amont dans les heures précédant une catastrophe. Néanmoins, certains événements probables, même bien modélisés, restent plein d’incertitudes : « Si nous étions de nouveau face à une crue de la Seine comme en 1910, nous n’aurions pas d’éléments récents de comparaison en France. Nous pouvons nous appuyer sur l’expérience des inondations de Prague, de New York ou de la Nouvelle-Orléans, mais il reste beaucoup de zones d’ombre complexes à modéliser ». Cette problématique, tous les professionnels de l’assurance la partagent : « Notre grande difficulté aujourd’hui est d’établir les corrélations entre l’événement climatique et l’activité des entreprises que nous assurons, souligne Fabien Graeff, actuaire certifié IA, Head of Global Analytics chez Marsh.Le risque de base est important et l’incertitude également. Mais à quel horizon faire les études et comment mesurer les effets de compensation avec des données qui évoluent sans cesse ? Deux hivers doux ne vont pas forcément se succéder. »

[traitement;requete;objet=article#ID=1083#TITLE=Un avant et un après Katrina]

Une approche dynamique du climat

Pour les aider dans leurs calculs, les compagnies s’appuient sur les modèles du marché, mais elles sont de plus en plus nombreuses à développer leurs propres modèles : « Nous nous dotons des moyens pour améliorer notre niveau de connaissance par l’étude des différentes composantes du risque. À savoir le climat, qu’il faut tenter d’apprécier de façon dynamique et non pas statique compte tenu des incertitudes liées au changement climatique, le territoire, qui a longtemps été peu considéré par les assureurs, et l’exposition, souligne Jean-Louis Charluteau, directeur des risques IARD chez Generali, pour qui ces approches permettent d’atténuer les risques d’hyper-segmentation qui pourraient résulter d’une sur-pondération donnée aux résultats des modèles de marché sur les autres approches. Ces compétences que nous développons en interne et qui “s’auto-fertilisent” doivent nous permettre de continuer à exercer notre métier d’assureur généraliste, au service de la mutualité constituée par nos clients, mais en évitant de se trouver, par ignorance ou par défaut de suivi, exposés à des phénomènes d’anti-sélection en ce qui concerne les risques climatiques majeurs. »

Cet enjeu clé, tous les grands (ré)assureurs aujourd’hui le partagent et beaucoup espèrent que les évolutions technologiques – avec une approche basée sur les réseaux neuronaux et le Big Data – leur permettront d’être de plus en plus pertinents dans leur appréhension des risques climatiques.  

 

 

1. Le Giec utilise ce terme afin d’évaluer l’impact de différents facteurs sur le bilan énergétique de la terre. On distingue  le forçage naturel (éruption volcanique, variations  de la constante solaire…) et le forçage anthropique  (gaz à effet de serre, aérosols…).

2. Changement climatique 2014, 5e rapport d’évaluation du Giec.

3. Gestion des risques naturels et changement climatique :  les challenges des actuaires, J. Tomas, LSAF, déc. 2014, 74 p.