Risques environnementaux, des enjeux financiers majeurs
Les études de l’OMS comme celles du ministère de l’Écologie s’accordent pour considérer la pollution de l’air comme un risque majeur pour la santé. Les assureurs ne semblent pas pour l’heure menacés. En revanche, ils pourraient être fortement impactés par le changement climatique.
Le 24 mars dernier, une publication de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révélait que la pollution de l’air était devenue le premier risque environnemental pour la santé dans le monde, avec 7 millions de décès prématurés chaque année : « Peu de risques ont un impact supérieur à la pollution de l’air sur la santé mondiale à l’heure actuelle », déclarait le docteur Maria Neira, directrice du département OMS santé publique.
Ces nouvelles données soulignent le lien entre la pollution de l’air et les maladies cardiovasculaires, les AVC et les cancers. Les pays à revenus faibles ou intermédiaires des régions de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental concentrent à eux seuls 5,9 millions des décès par an.
Les nouvelles technologies d’évaluation des risques ont ainsi mis en avant une mortalité bien plus importante que ce qui était estimé auparavant.
30 milliards d’euros annuels pour la France
En France, le ministère de l’Écologie et du Développement durable a publié une étude1 qui évalue le coût financier de la pollution de l’air. Ainsi, les décès et les maladies provoqués par la pollution coûteraient à la collectivité de 20 à 30 milliards d’euros par an en France. En tête des problèmes, les émissions de particules, à l’origine de maladies pulmonaires et de décès, et les gaz en suspension comme l’ozone, le monoxyde d’azote, le dioxyde de soufre.
Ces chiffres ne devraient pas laisser les assureurs indifférents. « Bien sûr, en tant qu’acteurs économiques et intervenants importants dans la chaîne des valeurs, les assureurs sont concernés, explique Emmanuel Soulias, directeur de la responsabilité sociale et environnementale du groupe Macif. Mais nous avons des difficultés à évaluer la matérialité des conséquences sur la santé des assurés. »
En effet, une des spécificités de la pollution est que ses conséquences sont la plupart du temps étalées sur une période plus ou moins longue et qu’elle est rarement le seul facteur d’apparition de pathologies telles que l’asthme, les bronchites chroniques et autres affections respiratoires. « Nous sommes dans l’incapacité d’établir la corrélation entre une exposition longue à des polluants et l’apparition d’une maladie », ajoute Emmanuel Soulias.
Cependant, pour le Commissariat général au développement durable (CGDD), certaines méthodes permettent de quantifier les impacts sanitaires de la pollution. Il s’agit d’utiliser un polluant particulier comme indicateur, même s’il n’englobe pas tous les effets sanitaires des autres polluants. L’indicateur choisi dans un rapport d’octobre 2013 est celui des particules fines. D’après ce rapport « l’exposition des individus à la pollution de l’air aggrave la morbidité et induit une mortalité prématurée à travers notamment ses effets sur les systèmes respiratoire et cardiovasculaire. Ces effets peuvent se manifester à court terme, suite à un pic de pollution. Mais ils se manifestent à des niveaux d’exposition plus bas lorsque cette exposition est prolongée. C’est cette exposition chronique qui constitue aujourd’hui l’enjeu sanitaire le plus important ».
74 000 décès causés par les particules
Les derniers chiffres concernant l’ensemble de la France remontent à 1996 et 2000. Ils restent cependant cohérents avec ceux révélés par des études plus récentes mais qui se limitent aux grandes villes. Ainsi, les particules grossières PM10 (cf. glossaire) seraient à l’origine de 32 000 décès, dont 55 % imputables au trafic routier, et les particules fines PM2,5 seraient responsables de 42 000 décès par an.
Mais la pollution provoque également de nombreuses maladies respiratoires qui entraînent des dépenses à la charge des systèmes de soins : consultations, soins, médicaments, hospitalisations, indemnités journalières. Celles-ci atteindraient, toujours selon le CGDD, entre 0,7 et 1,7 milliard d’euros par an. Et, d’après Christophe Rafenberg, qui a réalisé l’étude, ces coûts sont des estimations a minima car ils ne comprennent pas « les dépenses de transports sanitaires, les examens complémentaires en dehors du circuit hospitalier et prescrits en médecine de ville ni les pathologies non respiratoires mais induites par celles-ci ». De plus, les résultats ne prennent pas en compte les suites de maladies sur plusieurs années ni les récidives de cancers. L’étude tente ensuite de déterminer la fraction de ces maladies attribuable à l’environnement. Pour cela, elle a analysé les maladies respiratoires chroniques et les cancers en en déduisant la part du tabac et des expositions professionnelles. Pour l’ensemble des maladies concernées, l’environnement en serait responsable pour une proportion allant de 5 à 15 %. Ce qui représente entre 26 800 et 40 200 nouveaux cas de broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO), 134 000 cas de bronchites chroniques, 950 000 cas de bronchites aiguës, entre 400 000 et 1,4 million de cas d’asthme et entre 1 680 et 4 400 cas de cancers des voies respiratoires, chaque année. « Ces chiffres sont très macroéconomiques et sont réels. Mais ils ne sont pas du tout adaptés à notre modèle économique et à notre fonctionnement, puisque nous couvrons surtout des particuliers, nuance Emmanuel Soulias. De plus, même si nous pouvions déterminer la part de la pollution dans la survenance d’une maladie, nous ne pouvons écarter la dimension comportementale individuelle. Ainsi, une personne pourrait effectuer des travaux d’isolation, mais laisser la fenêtre ouverte, par exemple. »[traitement;requete;objet=article#ID=783#TITLE=Émissions atmosphériques par secteur en France métropolitaine ]
Pour l’heure, l’action des assureurs concernant la pollution se concentre plutôt dans des campagnes de prévention et d’information.L’enjeu majeur du changement climatique
Selon Louis Perroy, ancien actuaire aujourd’hui consultant pour la société Planetekos spécialisée dans le changement climatique, les pics de pollution dans les pays occidentaux, même s’ils peuvent être impressionnants, restent très ponctuels. « Année après année, le niveau de pollution en général s’est énormément amélioré. En Europe, il est acceptable, il est très surveillé. Les standards européens concernant les émissions de particules fines, notamment en ce qui concerne les véhicules diesel, font référence dans l’ensemble des pays émergents. »
Pour lui, le réchauffement climatique est un enjeu beaucoup plus préoccupant. « Si on range les problèmes par ordre croissant, le changement climatique est beaucoup plus grave bien que moins immédiat. »
Et, de ce côté-là, les nouvelles sont assez mauvaises depuis la conférence de Copenhague de 2012, qui a mis un terme aux mécanismes de développement propre (MDP)2 initiés par le protocole de Kyoto. « C’est un recul, car ces MDP commençaient à porter leurs fruits en termes d’information de la population, même si les résultats étaient assez faibles en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ajoute Louis Perroy. Mais surtout, de nombreux investisseurs privés qui s’étaient lancés sur le marché ont mis la clé sous la porte. [traitement;requete;objet=article#ID=785#TITLE=Amiante, des dizaines de milliers de décès]
Des conséquences sur les actifs
Car c’est bien là que se trouve l’enjeu, convaincre les investisseurs privés, et notamment les acteurs de la finance, d’investir dans les solutions au changement climatique. C’est ce que défend Louis Perroy dans un mémoire écrit en 2005, intitulé Impacts of Climate Change on Financial Institutions’ Medium to Long Term Assets and Liabilities : « J’ai essayé de démontrer que le changement climatique aurait beaucoup plus de conséquences sur les actifs des compagnies d’assurances, sur leurs investissements, que sur leur passif, c’est-à-dire sur les garanties qu’elles fournissent, explique-t-il. Le jeu des primes annuelles, que l’on peut augmenter, comme des exclusions, les protègent. » En revanche, selon lui, tout le secteur financier sera impacté par le changement climatique car l’économie fondée sur les hydrocarbures va devoir se réinventer : « Cela pourrait se faire au bénéfice de la grande finance ou la toucher de plein fouet, on ne sait pas mais ça ne sera pas anodin. » Ainsi, le rapport Stern, commissionné par Tony Blair, chiffrait le coût économique futur à 5 % du PIB mondial. Concernant les risques en termes de garantie, Emmanuel Soulias partage l’opinion de Louis Perroy : « Les assureurs ont calculé que le coût du changement climatique sur vingt ans serait d’environ 30 milliards d’euros. Cela n’est pas grand-chose au regard des 2 000 milliards d’euros que représentent leurs actifs. » Reste à voir si les acteurs de la finance et notamment les assureurs consacreront une partie de ces actifs à anticiper les effets du changement climatique[traitement;requete;objet=article#ID=787#TITLE=Franck Laval, président d’Écologie sans frontière]
[traitement;requete;objet=article#ID=789#TITLE=Glossaire]
1. Commissariat général au développement durable, Pollution de l’air et santé, le coût pour la société, Le point sur n°175, octobre 2013. 2. Mécanisme de développement propre : il s’agit d’un mécanisme de marché qui considère que la source d’émission n’a que peu d’importance. Il vise à récompenser financièrement toute instauration de technologies réduisant ces émissions dans les pays en voie de développement, en en monétarisant la valeur, qui devient alors négociable en unités d’équivalent d’une tonne de CO2.