Retour au numéro
Partager sur :
Vue 1167 fois
12 mars 2014

De nouveaux horizons pour les actuaires

Réglementation, développement technologique, vieillissement de la population… autant d’enjeux qui complexifient la mission des actuaires. Passage en revue…

Réglementation, développement technologique, vieillissement de la population… autant d’enjeux qui complexifient la mission des actuaires. Le métier se transforme à tous les niveaux, ses codes, ses modèles, ses moyens, ses usages… Passage en revue avec quatre experts de thèmes qui marqueront les prochaines années.

 

Code de déontologie : la responsabilité au cœur de l’actualité

L’actuariat fait partie des professions non réglementées par les pouvoirs publics. Pour que celle-ci soit organisée et crédible, l’existence d’une association professionnelle structurée, ici l’Institut des actuaires, s’avère indispensable. Notamment pour garantir, sous peine de sanctions, le respect d’un code de déontologie. Christophe Eberlé, son vice-président, en précise les enjeux pour demain.

 

La déontologie fait partie intrinsèque de la profession d’actuaire, rappelle Christophe Eberlé. À ce niveau, l’Institut des actuaires a d’autant plus d’importance qu’il n’y a pas dans l’Hexagone d’ordre professionnel, à l’instar des avocats, des médecins ou des experts comptables. Cependant, pour être efficace et applicable, le code de déontologie a besoin de changer afin de tenir compte des évolutions que rencontre la profession, comme les nouvelles règles de gouvernance des risques sous Solvabilité II.

Un code en cours de réforme

La refonte du code de déontologie est aujourd’hui un des sujets phares de l’actualité de l’Institut des actuaires car, comme le rappelle Christophe Eberlé, qui a été membre du groupe de travail œuvrant à la refonte, « sans code, pas de discipline ni de sanctions. Le code actuel date du début des années 2000. Depuis, la situation a évolué et Solvabilité II entraîne de nouvelles exigences pour la fonction actuarielle. Nous nous sommes également aperçus que nous avions des dispositions à ajuster afin de rendre le code plus aisé dans sa compréhension et son application, notamment dans le cadre de certaines procédures disciplinaires. Par ailleurs, il était nécessaire d’être en phase avec certaines évolutions du code de l’Association actuarielle internationale, qui a aussi évolué ces dernières années ».

Le groupe de travail a communiqué ses travaux au conseil d’administration de l’Institut des actuaires ainsi qu’à la commission de déontologie pour validation.

L’Institut des actuaires organisera un exposé-débat auprès de ses membres : « Il s’agit de leur présenter notre travail et d’avoir un débat afin d’expliquer les évolutions et, d’une manière générale, de rappeler les principales dispositions du code, texte qui sera ensuite soumis au vote de l’assemblée générale », précise Christophe Eberlé.

L’élément primordial des travaux de refonte du code est la prise en compte des situations où l’actuaire se retrouve face à des responsabilités étendues. « La déontologie

s’applique à tous nos membres. Mais il faut, pour un actuaire, identifier les situations où dans la réalité de l’exercice de notre profession il porte plus de responsabilités que d’autres », explique le vice-président de l’Institut. Se pose alors la question de la définition des actuaires pouvant être confrontés à de telles situations. Est-ce lié à l’expérience ? À la hiérarchie dans l’entreprise ? Et qu’en est-il des actuaires travaillant dans les sociétés de conseil ? « Il appartient à chacun d’évaluer sa position. Les professionnels qui hésitent sur leur statut peuvent contacter la commission de déontologie. La responsabilité est liée au niveau d’engagement et de connaissances de l’actuaire : dans certaines entreprises, il pourra s’agir du directeur technique et de ses adjoints. Le porteur de responsabilités étendues est un actuaire qui évolue aussi bien dans une compagnie que dans une société de conseil. Plusieurs évolutions du code concerneront d’ailleurs la notion d’actuaire conseil. Quant à l’actuaire indépendant, il est porteur de responsabilité de fait », souligne Christophe Eberlé.

Une nouvelle dimension de l’actuaire

Dans ces situations de responsabilité étendue, le rôle et les engagements de l’actuaire sont aussi considérablement renforcés : « Cet actuaire sera responsable des avis qui vont permettre aux mandataires sociaux, par exemple, de prendre leurs décisions, souligne Christophe Eberlé. L’actuaire doit dès lors se poser des questions entre autres sur le fonctionnement des outils de modélisation et les conséquences que cela peut avoir sur le résultat final. L’objectif étant d’augmenter le professionnalisme des actuaires sans les brider. »

Florence Puybareau

Modèles actuariels : quelle fiabilité ?

Pas de travail actuariel sans modèles. Surtout pour établir les provisions. Mais quelle est la réelle pertinence de ces modèles ? Comment et jusqu’à quel point l’actuaire doit-il intervenir ? Étude de Marion Gremillet, actuaire IA, consultante chez Actuaris International.

 

L’étude de Marion Gremillet s’appuie sur des données issues de 675 triangles de liquidation de compagnies américaines dans le domaine de l’assurance non-vie : « L’idée était de travailler sur le provisionnement, en appliquant de manière automatique les méthodes traditionnelles de projection sur les données passées, et de comparer les estimations obtenues avec la réalité de la sinistralité. Je voulais également évaluer la marge d’amélioration rendue possible par l’intervention de l’actuaire. »

L’input choisi a été celui des triangles de liquidation qui agrègent toutes les données du passé (la date de survenance du sinistre, la façon dont le sinistre se développe, car certains peuvent mettre des années avant d’être réglés). La première étape a consisté à réaliser un travail sur les données pour que celles-ci puissent réellement être exploitables. « J’ai ensuite comparé trois méthodes pour estimer les montants des provisions à partir de ces triangles : le bootstrap, Chain Ladder et Reversible-Jump Markov Chain Monte Carlo (RJMCMC). Puis j’ai appliqué les méthodes à l’ensemble des triangles retraités et comparé les résultats obtenus avec la sinistralité réelle. Contrairement à ce que l’on aurait pu anticiper du fait de sa complexité et de son caractère novateur, la méthode RJMCMC donne des résultats tout à fait comparables aux autres méthodes, voire légèrement plus précis sur les branches longues.Mais quelle que soit la méthode employée, l’écart entre provision établie automatiquement et réalité des sinistres reste très significatif, de 5 % à 28 % selon mes calculs. »

Pour l’actuaire, la conclusion est claire : « Pour obtenir une meilleure provision, l’intervention de l’actuaire est essentielle, tant par sa connaissance du portefeuille que par sa connaissance des limites des méthodes statistiques employées. » F.P.[traitement;requete;objet=article#ID=763#TITLE=Écart moyen entre prévisionnel et réalisé, par méthode]

Communication financière : quels enjeux ?

Élément structurant dans la capacité des assureurs à se développer, la communication financière est un sujet majeur dans l’évolution de la sphère d’intervention des actuaires. Explications de Pierre Thérond.

 

La communication autour de l’embedded value pour les grands groupes d’assurances (vie en particulier) avait déjà nécessité l’intervention significative des actuaires au cours des quinze dernières années. Les nouveaux enjeux sont là encore d’une importance considérable… En premier lieu avec l’avènement de Solvabilité II et de son troisième pilier, qui s’avère structurant tant en termes de modélisation (granularité et historisation notamment) que de communication auprès des marchés et des clients. Ses contours prennent aujourd’hui une forme définitive comme le montrent les initiatives de l’autorité de contrôle dans le cadre des collectes 2013 et 2014.

En revanche, celui de la norme IFRS sur les contrats d’assurance est un projet d’importance pour lequel la gestation est bien plus longue. Si, depuis 2005, les sociétés cotées ou faisant appel public à l’épargne au sein de l’Union européenne doivent publier leurs comptes consolidés selon le référentiel IFRS, c’est toujours une norme provisoire qui régit les problématiques d’évaluation et de comptabilisation des contrats d’assurance, IFRS 4. Au cours des dix dernières années se sont succédé un discussion paper (2007) et deux exposés-sondages (2010 et 2013) pour définir un cadre plus cohérent.

Les spécificités de l’assurance-vie

Si une grande partie des remarques adressées à l’IASB en 2010 a été intégrée, la question des contrats avec participation aux bénéfices reste d’une importance cruciale, particulièrement pour le marché français. Les enjeux : des principes de valorisation des provisions et de reconnaissance du résultat cohérents avec ceux d’IFRS 9, la norme sur les instruments financiers post-crise ; une émergence du résultat cohérente avec le business model de l’assurance (activité de long terme avec une gestion conjointe des engagements et des placements) et donc dépolluée des variations court-termistes des marchés financiers.

Dans ce contexte, les tests grandeur nature d’approches alternatives (demandés massivement par l’industrie dans les commentaires à l’ED) vont s’avérer déterminants au cours des prochains mois. Il s’agit, en substance de finaliser cette norme qui, conjointement à IFRS 9, sera décisive pour la communication financière des groupes d’assurance à compter de 2018. Aujourd’hui, les grandes compagnies françaises se sont saisies du dossier car il s’agit pour elles de faire entendre leur voix et la spécificité de l’assurance-vie hexagonale. Les actuaires sont également sur le pont et l’Institut des actuaires s’est manifesté en octobre dernier auprès de l’IASB. Le contexte actuel justifie cette initiative : les modèles comme les considérations d’équilibre actif-passif à long terme doivent faire partie intégrante du modèle qui sera in fine retenu par l’IASB. Au-delà, ils interviendront nécessairement auprès des directions comptables et financières dans les échanges avec les analystes et plus largement dans la communication financière.

Enfin, la communication financière est un élément d’importance qui est intégré dans la gestion effective des assureurs. La bonne compréhension de son fonctionnement et de ses fondamentaux sera nécessaire à sa bonne intégration dans les évaluations requises au titre du pilier 2 de Solvabilité II et en particulier de l’ORSA.

Pierre Thérond, actuaire associé Galea & Associés, maître de conférences associé Isfa

Jurisprudence et réglementation : quels impacts ?

À côté des réformes et des nouvelles lois, l’évolution de la jurisprudence et de la réglementation peut changer la donne pour les assureurs, notamment en ce qui concerne leur politique de provisionnement et leur niveau de réserves. Démonstration par l’exemple de la responsabilité civile automobile avec Pape Top, actuaire IA provisionnement non-vie chez Scor.

 

Qu’advient-il quand les données du marché et la réglementation changent la donne pour les assureurs ? C’est notamment le cas sur le marché de la responsabilité civile (RC) automobile en France, que connaît bien Pape Top : « Sur le marché de la RC automobile, les taux d’intérêt bas ainsi que les derniers changements réglementaires vont engendrer une hausse significative du montant des provisions techniques. Par exemple, l’article A331-10 du Code des assurances impose aux compagnies d’assurances de provisionner les réserves relatives aux postes indemnisés en rentes avec un taux égal à 60 % du TME (taux moyen des emprunts d’État) dans la limite de 3,5 %. Mais ce taux moyen ne cesse de baisser depuis plusieurs années : il était de 2,98 % en 2013 et est passé à 2,45 % en 2014. Or cela implique une hausse mécanique des provisions, ce qui a un coût important pour les compagnies. » Autre impact sur les réserves des sinistres récents et futurs : le changement acté en décembre 2013 dans cet article avec l’introduction d’un taux d’inflation de 2,25 % dans le calcul des taux de capitalisation pour tous les sinistres survenus à partir du 1er janvier 2013. « Ainsi, étant donné les valeurs actuelles du TME, tous les sinistres survenus l’an dernier et cette année devront être provisionnés avec un taux d’intérêt… négatif ! »

La référence aux barèmes réglementaires

Pape Top met également en avant les évolutions du barème de capitalisation de la Gazette du Palais qui impactent notamment la partie du sinistre payée en capital. La dernière Gazette parue en 2013 s’appuie sur les tables de mortalité Insee des années 2006-2008. « Une période qui peut sembler ancienne mais la validation des tables de mortalité implique un long processus », explique le rédacteur du texte. Et de poursuivre : « S’agissant des paramètres économiques, les taux d’emprunt d’État à 10 ans sont pris pour référence mais sans omettre d’en déduire l’inflation, pour approcher un véritable taux net. Celui-ci est donc désormais de 1,20 % alors qu’il était de 2,35 % en 2011 et de 3,20 % en 2004. » Une dégringolade des taux qui se solde aussi pour les assureurs et les réassureurs par une augmentation importante de leurs provisions : « D’un point de vue actuariel, il est donc indispensable d’actualiser très régulièrement nos modèles pour prendre en compte ces évolutions », précise Pape Top.

Pour l’actuaire, un troisième changement pourrait avoir un impact fort sur les réassureurs : le transfert de l’indexation. « Avant 2013, les rentes versées aux victimes au titre des sinistres RC automobile en France faisaient l’objet d’une indexation qui était prise en charge par l’État à travers le FGAO (Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages). Mais il a été décidé de transférer l’indexation aux assureurs pour les sinistres survenus après le 1er janvier 2013. » Cette indexation peut être incluse ou non dans le traité de réassurance et on peut supposer que dans le futur certains assureurs transféreront à leur tour l’indexation chez les réassureurs. Or, note Pape Top, « la prise en charge de l’indexation par les réassureurs augmenterait les montants de sinistres à leur part, ce qui générerait une hausse des prix de réassurance. Il s’agit ainsi pour les cédantes d’arbitrer entre une hausse de leur taux de prime de réassurance et une augmentation des coûts restant à leur charge ». F.P.[traitement;requete;objet=article#ID=765#TITLE=Interview de David Dubois, actuaire expert ERM IA, directeur du développement chez RGA]