Entretien avec Pascal Demurger
« Solvabilité II est une course contre la montre »
l'actuariel : À compter du 1er juillet 2014, vous prendrez la présidence du Gema. Que représente cette élection pour vous ?
Pascal Demurger : Cela représente une reconnaissance pour la Maif de la part de ses pairs. Le Gema a presque 50 ans et il y a plus de quarante ans que la Maif ne l’a pas présidé. Ce choix donne une image positive de la mutuelle, qui a considérablement évolué et s’est beaucoup modernisée depuis cinq ans. C’est aussi, à mon égard, un signe amical que j’apprécie.
l'actuariel : Justement, où en est la Maif dans son programme de modernisation ?
P. D. : Nous achevons le plan stratégique qui courait sur la période 2009-2014. C’était un programme résolument tourné vers l’interne. Nous avons beaucoup fait évoluer l’organisation du réseau et largement engagé une refonte complète du système d’information. Par ailleurs, les accords sociaux ont été dénoncés et renégociés. Nous avions besoin de nous remuscler avant d’entamer le nouveau plan qui va s’étendre jusqu’en 2019. Celui-ci va être davantage tourné vers l’offre et les relations avec les sociétaires. Par exemple, concernant la relation client, nous souhaitons investir massivement dans l’innovation et le digital. Nous devons être plus proactifs dans ce domaine.
l'actuariel : Quels sont les objectifs ?
P. D. : Nous sommes clairement tournés vers la reconquête. Ces dernières années, notre activité avait stagné. Dans un contexte économique difficile et un contexte interne de transformation, notre cible était de consolider nos positions. Ainsi, notre premier objectif a été de conserver nos parts de marché et de maintenir notre taux de couverture sur de la marge de solvabilité. Maintenant, il nous faut aller plus loin, notamment en matière de développement.
l'actuariel : L’ANI, Solvabilité II, la loi Hamon… L’actualité réglementaire est riche. Quels en sont les impacts pour la Maif ?
P. D. : L’impact est très différent selon qu’il s’agit de l’un ou de l’autre. Ainsi, l’ANI aura des impacts mineurs pour la Maif car notre activité santé est marginale. Celle-ci se développe surtout à travers la joint-venture que nous avons montée avec la MGEN.
Sur Solvabilité II, les conséquences sont proches de celles que connaissent les assureurs du marché. C’est un chantier important mais c’est aussi une course contre la montre. En tant qu’assureur, c’est une opportunité sur les modes de fonctionnement collectif. Aujourd’hui, le choix de nos orientations stratégiques ne se fait pas assez en regard de l’exposition aux risques. C’est pourquoi, formaliser et intégrer une dimension risque dans nos processus est sain. Mais, d’un autre côté, nous pouvons regretter une lourdeur de process qui semble démesurée au regard de notre taille, alors que nous ne faisons pas courir un risque systémique à l’instar de certains acteurs du marché. Par ailleurs, le secteur des mutuelles est particulièrement intéressé par la manière dont certains aspects de la directive seront retranscrits, notamment sur la gouvernance et le statut des Sgam.
l'actuariel : Pouvez-vous nous en dire davantage ?
P. D. : Oui. Se pose d’abord la question du traitement de la Sgam. Soit les Sgam sont considérées comme des groupes à part entière. Et en conséquence elles deviennent des entités faîtières. Ou alors elles sont plutôt des regroupements de sociétés indépendantes, ce qui a un impact sur les règles de gouvernance d’entreprises qui ont des spécificités fortes. Sur le sujet de la gouvernance, nous serons attentifs à la transposition de la directive, notamment sur la question des dirigeants effectifs pouvant répondre à l’impératif des quatre yeux.
l'actuariel : Et concernant la loi Hamon, à laquelle vous vous êtes opposés ?
P. D. : Pour le moment, elle a un impact difficile à connaître. En effet, nous nous sommes battus contre cette loi car elle va à l’encontre de notre philosophie, qui est d’avoir une relation à long terme avec les actionnaires. Cette loi va accélérer un phénomène de commoditisation du marché. Elle va tirer les prix vers le bas et va détruire de la valeur. Nous estimons que cette mesure sera contre-productive pour les assurés qui ne peuvent se permettre d’assurer un sinistre avec un certain niveau de couverture. Car, si les prix sont plus bas, les couvertures seront moindres.
Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts et, comme nous avons un niveau de fidélité très élevé, nous restons confiants sur les conséquences que pourrait entraîner cette loi sur notre activité.
l'actuariel : Le marché des mutuelles se consolide. Quelle est votre position ? La Maif va-t-elle être un acteur de la consolidation ?
P. D. : La consolidation peut être intéressante mais il faut s’interroger sur sa pertinence. En fait, nous pouvons distinguer trois types de stratégies : la massification ou, si l’on préfère, la consolidation ; la diversification, qui est un moyen de trouver des relais de croissance. Et, enfin, la différenciation, qui va permettre de se distinguer des autres compétiteurs. Ce qui caractérise la marque Maif est de savoir se distinguer des autres. Notre stratégie va donc plutôt dans ce sens-là. Mais ce n’est pas incompatible avec la massification. À condition que la recherche de synergies ne porte pas atteinte à la marque.
l'actuariel : Comment voyez-vous évoluer le travail des actuaires au sein de la Maif ?
P. D. : La gestion technique d’une mutuelle comme la Maif est soumise à une problématique actuarielle similaire à celle d’une compagnie d’assurances. Pour la gestion actif/passif, nous sommes d’ailleurs assez à la pointe. Sur le cœur de métier, il n’y a pas une vision mutualiste du risque. C’est une politique de souscription classique. En revanche, nous avons un niveau de mutualisation plus important et une segmentation tarifaire un peu moindre que les compagnies d’assurances. Mais, globalement, il y a peu de différences sur la surveillance du portefeuille. Les écarts se sont amenuisés. Et Solvabilité II, qui oblige à s’interroger sur la politique du risque, va contribuer à rapprocher les grandes mutuelles comme la Maif et les compagnies d’assurances.
l'actuariel : Comment envisagez-vous les relations entre la FFSA et le Gema ?
P. D. : Il est nécessaire que les mutuelles d’assurance soient représentées. Elles ont une vision du marché qu’elles doivent défendre et, parallèlement, la profession doit s’unir pour défendre des intérêts communs auprès des pouvoirs publics. C’est ce que nous avons fait pour les dossiers concernant l’assurance-vie, les droits des clients, les obligations émises par la Cnil.
Pour autant, nous devons être unis pour mieux défendre les positions de place face aux pouvoirs publics. La coopération avec la FFSA existe. Elle est salutaire. Nous pouvons encore aller plus loin. Sur les dossiers qui le méritent, nous pouvons nous rapprocher sans que cela remette en cause l’existence des mutuelles, et chacun peut affirmer ses spécificités et sa différence.