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15 mars 2017

Intelligence artificielle : vers une mutation des métiers

Une révolution des méthodes avec un impact considérable sur l'emploi et les compétences…

Une révolution des méthodes, un choc de productivité inédit dans les métiers de la finance et de l’assurance, voilà ce que promet le développement de l’intelligence artificielle. Avec un impact considérable tant sur le nombre d’emplois que sur les compétences…

Pas une semaine ne passe sans que la presse ne se fasse l’écho des dernières avancées en matière d’intelligence artificielle. De la reconnaissance vocale des smartphones aux drones de guerre en passant par les voitures autonomes… nombreux sont les domaines à bénéficier des progrès du machine learning, grâce auxquels un ordinateur est capable d’apprendre à partir des données qu’il traite.

Pour Olivier Lopez, actuaire certifié IA et directeur de l’Institut de statistique de l’université de Paris (Isup), « l’intérêt de l’intelligence artificielle, c’est que les algorithmes trouvent des corrélations que l’homme n’aurait pas anticipées ». Les grands groupes d’assurance tels que Axa, Allianz ou Generali investissent dans ce domaine en créant des « data labs », en utilisant des plateformes participatives de machine learning et en recourant aux solutions d’éditeurs français (Shift Technology, Scaled Risked, DreamQuark…) ou étrangers (Palantir, DeepMind, IBM Watson…).

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Traiter des dossiers en un temps record

En France, Natixis Assurances a confié à un robot le traitement de la résiliation des contrats auto et habitation, qui peut être demandée à tout moment depuis la loi Hamon. La densité de calculs de ses neurones artificiels permet de traiter rapidement un grand volume de données. En une nuit, le nouveau système est capable de résilier 500 à 600 contrats, ce qui prendrait six journées de travail à un humain. Pour l’heure, c’est l’assureur japonais Fukoku Mutual Lifed Insurance Company qui a fait le plus de bruit en annonçant que 34 employés de son service des remboursements allaient être licenciés et remplacés par une intelligence artificielle basée sur Watson, le système cognitif d’IBM. Cette technologie a représenté pour Fukoku un investissement de 1,6 million d’euros et sera rentabilisée en moins de deux ans. Elle est capable de lire et d’analyser les feuilles de soin, les factures et autres certificats médicaux et d’en déduire le calcul des paiements – un humain ayant tout de même la responsabilité de valider les montants. Ce type de robots peut également détecter les documents potentiellement frauduleux. « En réduisant les délais de traitement des dossiers, l’intelligence artificielle va améliorer la perception des clients sur leur assureur », pronostique Marie Kratz, actuaire certifiée IA et directrice du Centre de recherche éconofinancière et actuarielle sur le risque (Crear) à l’Essec.

[traitement;requete;objet=article#ID=1317#TITLE=Julien Maldonato, directeur Fintech Disruptors chez Deloitte]

Une intelligence augmentée pour les actuaires

L’affinement des modèles et leur mise à jour rapide grâce à l’intelligence artificielle sont progressivement adoptés par les actuaires des sociétés d’assurance, et en particulier ceux des compagnies 100 % en ligne. « À terme, les actuaires bénéficieront d’une intelligence qu’on peut qualifier d’augmentée. Ils réaliseront en quasi-temps réel des simulations qui prenaient jusque-là plusieurs semaines », explique Jérôme Sallard, associé chez Octen Consulting. Mais l’intérêt de cette technologie est avant tout de s’appliquer à une masse de données conséquente, le Big Data. « Si vous faites tourner des algorithmes auto-apprenants sur le panel traditionnel de données d’un actuaire, vous n’allez pas révolutionner la précision des tarifs », prévient Emmanuel Pierron, actuaire associé IA, qui a mis en place des algorithmes de machine learning chez Direct Assurance.

Les algorithmes de reconnaissance grammaticale et sémantique joueront également un rôle dans la réalisation des simulations. Ils pourront analyser des données non structurées issues d’e-mails ou de lettres de clients, capter la sensibilité au prix d’un consommateur et adapter le prix en fonction de l’intention d’achat ou de résiliation. « On va passer d’une logique de clusters (NDLR : groupes de personnes aux caractéristiques semblables) à une logique d’individualisation », résume Emmanuel Pierron, pour qui l’avenir est aux doubles profils actuaires-datascientifiques.

Une autre dimension pour l’analyse de risque et la prévention

L’intelligence artificielle intervient également dans l’analyse des risques et le conseil en patrimoine. En témoigne par exemple le succès de start-up technologiques comme Kreditech ou Credit Karma. Leurs algorithmes de « credit scoring » rivalisent avec les professionnels de la finance pour étudier le profil de risque d’un individu ou d’une entreprise, et en conclure s’il faut accorder un prêt. La banque norvégienne BN a ainsi divisé par 75 le temps de traitement des dossiers de prêt. D’après la société Sopra Steria, les agents intelligents savent évaluer le risque lié à une opportunité de business et faire une recommandation positive ou négative en fonction de la politique de risque qui a été définie par l’entreprise. En outre, dans les salles de marché, l’apprentissage automatique permet de détecter les opérations inhabituelles et ainsi de potentiellement repérer les nouvelles astuces utilisées par les opérateurs pour masquer leurs positions, dans l’espoir d’éviter un scandale à la Kerviel. Mais l’application la plus aboutie en finance se trouve dans le conseil en gestion de patrimoine, avec le développement des « robo-advisors ». Imités par des jeunes pousses comme le français Yomoni (qui vient de lever 5 millions d’euros), les pionniers américains Betterment et Wealthfront, qui gèrent plusieurs milliards de dollars, tirent profit du machine learning pour élaborer des recommandations de placement avisées.

Côté conformité, les analystes KYC (« know your customer ») verront leur travail largement prémâché par des robots qui analyseront les informations bancaires et celles issues des réseaux sociaux ou de la presse afin de mettre en évidence les données à faire repréciser auprès du client. Quant au domaine du commissariat aux comptes, la perspective est tout simplement qu’à moyen terme les auditeurs puissent grâce aux robots réaliser des contrôles exhaustifs là où ils fonctionnent aujourd’hui par échantillonnage.

Des yeux et des neurones

Les applications possibles de l’intelligence artificielle évoluent en fonction de l’avancée de la technologie, qui connaît un véritable boom. Dans un avenir sans doute plus proche qu’on n’imagine, l’évaluation des sinistres en assurance se fera à l’aide de technologies de reconnaissance visuelle utilisant le deep learning. Dans cette optique, Allianz a lancé un projet de recherche visant à déterminer le montant des sinistres en automobile à l’aide de photos prises sur le lieu de l’accident.

L’Actuarial STudies In Non-life insurance (ASTIN) s’est également emparée de la question de l’intelligence artificielle en développant en septembre 2016 un groupe de recherche dédié, dans lequel une vingtaine d’actuaires du monde entier élaborent un logiciel qui se concentre sur le provisionnement non-vie. À l’origine de ce travail, un article publié en 2003 par Frank Cuypers, actuaire ASA et DAV, responsable des groupes de travail ASTIN « Working Parties », utilisant des réseaux neuronaux pour développer des sinistres durant plusieurs années : « Grâce à notre prototype, nous avons travaillé sur des données synthétiques pour créer des portefeuilles en mélangeant différents types de sinistres. Le grand avantage des réseaux neuronaux, c’est que les variables d’input différentes peuvent être nombreuses. Au départ, vous ne savez pas dans quelle mesure votre portefeuille est inhomogène. Mais le réseau neuronal va classifier vos sinistres et établir une hiérarchie. »

L’intelligence artificielle pourrait également provoquer un changement de paradigme : « Quand les actuaires calculent leur réserve, jusqu’à présent ils prennent en compte tous les sinistres qui ont eu lieu au cours d’une année et ils les remplacent par un sinistre agrégé pour toute l’année. Une immense quantité d’informations est détruite en faisant cela. Ce que nous développons, c’est une méthode de sinistre au niveau individuel et pas au niveau agrégé », explique Frank Cuypers. Dans quelques semaines, l’équipe appliquera son logiciel sur les données réelles de certaines compagnies, soit des dizaines de milliers de sinistres. Les résultats seront publiés lors du prochain congrès ASTIN en août à Panama.

[traitement;requete;objet=article#ID=1319#TITLE=Des robots pour dialoguer avec les clients]

Vers une destruction d’emplois ?

Ces ruptures technologiques nourrissent des craintes légitimes quant aux emplois. « Pendant trente ans, ce sont surtout des “cols bleus” qui ont été remplacés par des machines ; à présent les progrès de l’intelligence artificielle remettent en cause des emplois de “cols blancs” », observe Mouloud Dey, directeur innovation et business development chez SAS. Plusieurs rapports sur le sujet ont alerté l’opinion et les pouvoirs publics. D’après une étude de l’OCDE, 9 % des emplois pourraient être remplacés par des algorithmes ou des robots d’ici à 2030. Pour les universitaires Carl Frey et Michael Osborne, d’Oxford1, la proportion passe même à 47 %... Les secteurs de la finance et de l’assurance se trouvent en première ligne, car pas moins de la moitié du temps de travail y est consacrée à collecter et à traiter des données, d’après les calculs de McKinsey2. Le cabinet de conseil estime même à 66 % le potentiel d’automatisation dans ces secteurs, le jour où l’intelligence artificielle parviendra à maîtriser le langage aussi bien que les humains ! À ce stade, une autre étude de McKinsey3 table sur une diminution de 25 % des emplois dans l’assurance d’ici à 2025, les métiers les plus automatisables étant les vendeurs (60 %) et les souscripteurs (35 %), loin devant les actuaires (15 %). Les PDG sont également concernés : 25 % de leurs tâches pourraient être robotisées !

Au-delà des réductions d’effectifs, c’est une transformation des métiers qui se profile. Grâce aux robots, les professionnels pourront se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. Difficile de tout déléguer à la machine, l’actuaire reste indispensable pour « mettre en place les algorithmes, vérifier la fiabilité des données, interpréter les réponses de la machine, les critiquer et enfin les décliner (ou non) dans un environnement concurrentiel et réglementé », énumère Olivier Lopez de l’Isup. Il devra également faire la liaison entre les robots et la direction de l’entreprise. « Les modèles complexes issus des algorithmes sont vus comme des boîtes noires. Les actuaires devront consacrer des efforts croissants à la vulgarisation des résultats et à la visualisation de la donnée pour convaincre leur hiérarchie de la pertinence des modèles », conclut Emmanuel Pierron. Par ailleurs, de nouveaux postes vont se développer : datascientifiques, programmeurs, spécialistes de réseaux de neurones, cogniticiens… Charge aux entreprises d’attirer les talents correspondant à ces nouveaux profils.

Prudence et esprit critique

L’avènement de l’intelligence artificielle apporte forcément son lot de risques. L’un d’eux « consisterait à croire l’outil tout puissant et à lui faire une confiance aveugle », estime Marie Kratz. Le défi sera alors de rester maître de l’algorithme et de garder son esprit critique face aux résultats qu’il obtient. Certains experts préconisent même la nomination d’un « Chief Algorithm Officer » (CAO) pour sensibiliser les organisations à cette problématique.

Le risque d’erreur ne doit pas non plus être écarté. De même que les humains, les algorithmes peuvent être bernés par des « fake news », comme l’a illustré la chute de 18 % du cours de Vinci en novembre dernier suite à la diffusion de faux communiqués de presse relatifs à des erreurs d’écritures comptables. Repérant certains mots-clés, les algorithmes de trading à haute fréquence ont immédiatement déclenché les ordres de vente. En outre, la cybercriminalité, qui pour l’instant se traduit surtout par des vols de données, pourrait se matérialiser un jour par le piratage de l’algorithme d’une banque ou d’un assureur. « Nous pressentons que l’erreur artificielle sera plus rare que l’erreur humaine, mais elle aura un impact plus grand car potentiellement toute une flotte de véhicules autonomes pourrait connaître un bug le même jour », décrypte Cécile Wendling, responsable de la prospective pour le groupe Axa.

Un risque d’ampleur car certains ont déjà sauté le pas… Selon Les Échos du 8 mars, Goldman Sachs a supprimé près de 600 postes de traders en passant à 99 % au trading électronique sur les actions. Il reste 200 ingénieurs informatiques pour gérer les systèmes…

[traitement;requete;objet=article#ID=1321#TITLE=Réglementer l’intelligence artificielle ?]

  1. « The future of employment », 2013, https://goo.gl/te6H6k
  2. « Where machines could replace humans—and where they can’t (yet) », juillet 2016
  3. « Automating the insurance industry », McKinsey Quaterly, Janvier 2016