S’engager, oui, mais comment ?
Confronté à des défis majeurs – un monde qui change, la révolution de la data, l’inflation réglementaire – l’actuaire est appelé à s’engager. Encore faut-il savoir définir son engagement pour pouvoir entretenir cette valeur aussi indispensable à l’efficacité d’un actuaire qu’à son développement personnel.
La comparaison revient à Jacques Richier, lors d’une allocution au congrès des actuaires, en 2015. « Un modèle, c’est une carte, ce n’est pas le vrai territoire, expliquait alors le président-directeur général d’Allianz France et président d’Allianz Worldwide Partners (AWP). Il ne faut pas avancer comme des cartographes, mais plutôt comme des explorateurs. Être actuaire aujourd’hui, c’est être engagé. Vous l’étiez déjà, vous le serez encore plus. C’est choisir la route qui semble la plus simple, sûre, en étant ambitieux et en tenant compte du monde tel qu’il est aujourd’hui. »
Le propos, indéniablement, interpelle la profession à plusieurs niveaux. Interrogé sur la question, Sébastien Nouet, actuaire certifié IA, y voit d’emblée une dimension intellectuelle et réglementaire. « Dans un monde régi par une complexité croissante, les marchés et les régulateurs ont conduit à la mise en place de modèles sophistiqués dont les frontières des champs d’application ne sont pas toujours bien identifiées », reconnaît le fondateur et directeur scientifique du mastère spécialisé « Assurance, actuariat et Big Data » à l’école supérieure d’ingénieurs Léonard de Vinci (ESILV). Selon lui, les professionnels de l’assurance et de la finance doivent savoir regarder au-delà des résultats induits par ces modèles « en les mettant en perspective avec des indicateurs parfois plus classiques, ou bien à découvrir, et qui s’inscrivent dans des approches annexes et de nature moins structurée ».
S’engager envers qui… ou envers quoi ?
Le terme d’« engagement » est associé à l’éthique pour d’autres professionnels, à l’instar de Magali Noé, actuaire certifiée IA aujourd’hui Chief Digital Officer chez CNP Assurances. « Avec la nature changeante de la data, qui est de plus en plus comportementale, l’actuaire peut vite devenir un “ apprenti sorcier ”, prévient-elle. Il pourrait par exemple être tenté de se servir des données prédictives relatives à l’état de santé des clients. La vraie question est de savoir ce qu’il fait de ce “ super pouvoir ”. » Au-delà de son propre rôle, il devra peut-être également jouer celui de modérateur et oser formuler certaines réserves, afin d’éclairer et d’alerter. « Je pense qu’un actuaire engagé, dans ce sens, présente un réel atout car il pourra allier la technique à l’éthique. »
[traitement;requete;objet=article#ID=1343#TITLE=Favoriser l’engagement de l’actuaire selon son profil]
S’engager pour l’intérêt public ?
Régulièrement au contact de jeunes diplômés, Sébastien Nouet n’hésite pas à rappeler qu’un professionnel a des obligations bien au-delà de son seul employeur. « L’actuaire doit contribuer à répondre aux besoins des assurés individuels à travers des préoccupations sociétales telles que la baisse de la protection sociale induite par l’ouverture des économies, avance-t-il, ainsi qu’aux besoins des entreprises en proposant des produits de couverture adaptés dans un environnement macrofinancier de plus en plus risquophobe. » Cette défense de l’intérêt public est d’ailleurs considérée comme primordiale par l’Institut des actuaires (lire encadré ci-dessous), qui l’a intégrée dans ses statuts. Ses membres souscrivent à cet engagement ainsi qu’à son code déontologique, qui encadre désormais l’utilisation et l’analyse des données issues du Big Data afin de respecter la confidentialité et la non-discrimination.
« En général, je n’aime pas trop les grands mots, nuance de son côté Michel Piermay, actuaire agrégé IA, fondateur de la société de conseil Fixage. En France, les actuaires n’ont pas vraiment de reconnaissance d’un rôle d’intérêt public. Il n’y a rien de tel dans les textes législatifs français. » Ancien président du Syndicat des actuaires conseils et actuaires experts indépendants, il place avant tout l’engagement des actuaires sur le terrain d’une certaine exigence intellectuelle. « Parler d’intérêt public, c’est mettre de la poudre aux yeux par rapport à une réalité souvent autre. Je vais être un peu brutal, mais, quand un actuaire travaille pour une compagnie d’assurances, la préoccupation de l’intérêt public n’est pas forcément son problème. Son employeur attend avant tout de lui qu’il fasse son travail et serve ses objectifs, tout en respectant les règles professionnelles. »
Au final, la spécificité de l’actuaire résidera pour beaucoup dans sa vision à long terme. Or ce positionnement l’obligera certainement à faire entendre sa voix parfois en contradiction avec les objectifs commerciaux à court terme de l’entreprise. La directive Solvabilité II légitime aussi le rôle clé de l’actuaire et lui confère des obligations accrues. En signant ses recommandations et son rapport, il engage sa responsabilité et a le devoir d’informer l’autorité de contrôle. En devenant un lanceur d’alerte, il doit échanger avec la direction générale et le management pour énoncer ses idées, ce qui exige naturellement un engagement fort de sa part.
L’engagement est un sujet sensible car l’actuaire n’est pas seulement le gardien de la norme et les pistes à explorer dépendront de la sensibilité de chacun. Michel Piermay invite souvent les actuaires à oublier certaines certitudes pour se remettre un peu en cause. « Cela fait partie de notre déontologie : un actuaire ne doit pas penser que ce qu’il dit n’est pas soumis à discussion. Il doit être capable d’expliquer ce qu’il a fait et comment il est arrivé à tels chiffre et conclusion, de manière à ce que quelqu’un d’autre puisse faire le même raisonnement, ou, le cas échéant, le modifier ou l’améliorer. » L’aptitude à communiquer est devenue un ressort essentiel de la profession.
[traitement;requete;objet=article#ID=1345#TITLE=Ce que disent les textes]
S’engager dans le quotidien
La notion d’engagement se vit aussi au quotidien pour les professionnels de l’actuariat, en trouvant du sens dans leur travail. « Un actuaire a toujours été engagé dans le sens où il est dans son époque, souligne Magali Noé. Quand on tarifie un produit ou que l’on évalue un risque, on vit avec son temps. Et l’actuaire sera encore plus engagé, si on considère que l’époque dans laquelle on vit va être dominée par la data. Un actuaire est de plus en plus engagé au sens où il sera de plus en plus sollicité. » Une responsabilité étendue qui justifie le recours à son management, à ses pairs ou à un coach…
[traitement;requete;objet=article#ID=1347#TITLE=François Bonnin, directeur finance quantitative et actuariat financier chez KPMG France]
Beaucoup témoignent en effet de la nécessité de trouver un équilibre personnel. « Les actuaires cherchent souvent la perfection et la maîtrise totale du risque », note Magali Noé. En pratique, elle suggère à certains actuaires de solliciter des formations inédites, en dehors de leur « zone de confort ». « Le métier évolue et à partir du moment où des machines peuvent effectuer certains calculs, s’engager, c’est aussi réinventer son métier, explique-t-elle. Il y a un beau défi qui consiste à se concentrer, aussi, sur la plus-value que l’on peut apporter en tant qu’humain. Les actuaires peuvent proposer autre chose. Ceux qui développeront des “ soft skills ” deviendront des acteurs essentiels des organisations. Car le leadership, le charisme ou l’empathie client prennent une réelle importance. » Enfin, ces « explorateurs » ont l’opportunité d’investir des territoires encore inconnus. « Les nouveaux défis pour les actuaires, doivent porter sur la relation client afin de proposer des gammes de produits adaptées aux besoins des assurés, suggère Sébastien Nouet. Les employeurs pourront ainsi faire travailler plus facilement les actuaires dans des équipes pluridisciplinaires composées de marketeurs, d’informaticiens, de médecins, de financiers ou de comptables… »
Quel que soit le domaine, l’actuaire développe assurément ses capacités à interagir avec l’extérieur en s’engageant dans des organisations de travail plus transversales et dans l’intérêt de tous.
[traitement;requete;objet=article#ID=1341#TITLE=Le coaching pour retrouver de l’engagement]