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23 juin 2016

Kenya L’assurance par SMS

Encadré

Dans le monde émergent, le Kenya fait figure d’exemple en matière d’inclusion financière. S’il y a dix ans, seulement 27 % de la population utilisait des services financiers formels, ce chiffre a bondi à 75 % cette année, essentiellement grâce à l’utilisation intensive de la technologie mobile et au portefeuille de monnaie électronique M-Pesa. L’assurance ne fait pas exception à cette appétence du pays pour l’innovation financière. Et en particulier en matière de couverture des risques agricoles. « 65 % de la population kenyane vit de l’agriculture mais n’a accès à aucune forme d’assurance », rappelle Ashok Shah, directeur général d’APA Insurance, le deuxième assureur kenyan, qui voit la microassurance agricole comme l’ouverture vers un nouveau marché.

 

Assurance indicielle

Mais assurer un petit producteur agricole disposant de moins de 10 hectares de terrain n’est pas chose aisée. Tout d’abord parce qu’il est très peu sensibilisé au concept même d’assurance : « Pour nous, agriculteurs africains, c’est par la prière que l’on s’assure que la récolte sera bonne », témoigne Faith Evelia, qui cultive du maïs dans la région de Kitale, au nord-ouest du pays. Aussi, quand Acre Africa, une entreprise kenyane concevant des produits de microassurance agricole, a proposé à Faith d’assurer sa production, cette dernière a refusé d’abord. « Les clients que nous visons ne connaissent pas l’assurance ou en ont une image négative, explique Rahab Kariuki, directrice d’Acre Africa. Nous ne leur parlons donc pas d’assurance mais de remplacement des graines en cas de non-germination. » Faith a fini par accepter, comme la plupart de ses voisins. « Le climat change et nous avons perdu nos repères », justifie-t-elle.

Mais même une fois cette sensibilisation réussie, reste pour les assureurs à construire une offre économiquement viable. Un contrat individuel n’est pas envisageable, entre les coûts de distribution, la collecte d’informations sur l’exploitation agricole et la visite d’un expert en cas de sinistre. La solution : bâtir un modèle qui indemnise uniformément tous les producteurs d’une même zone géographique. On parle d’assurance indicielle. Un index statistique est préalablement conçu sur certains paramètres comme le niveau de pluviométrie ou l’étendue des pâturages. Les agriculteurs sont indemnisés en fonction de la déviation effective de ces paramètres par rapport à l’index.

 

Satellite et mobile en appui

La technologie joue un rôle majeur dans l’assurance indicielle. Acre Africa dispose de quelque 80 stations météo disséminées dans le pays et complète sa collecte de données par des mesures satellitaires. « Grâce au satellite, nous pouvons savoir si la zone concernée souffre d’une pluie excessive ou au contraire insuffisante sans que l’on ait besoin de se rendre sur le terrain pour inspecter la ferme », observe Ashok Shah, qui utilise l’assurance indicielle pour assurer les éleveurs des zones arides du nord du Kenya. Le téléphone portable joue aussi un rôle essentiel. « Le petit producteur est localisé grâce au réseau GSM. La police d’assurance est envoyée par SMS. S’il y a indemnisation, celle-ci est versée via M-Pesa, liste Rahab Kariuki. Et lorsque ces assurés monteront en gamme, ils paieront leur prime par mobile également. »

La prime, pour le moment, est collectée via des partenariats de nature variée. Acre Africa travaille principalement avec des fournisseurs de semences : « C’est eux qui paient la prime, explique Rahab Kariuki. Cela leur apporte un contact direct avec les producteurs, qu’ils n’ont pas. Nous sommes en quelque sorte un outil CRM pour eux ! Et quand il y a une indemnisation, cela renforce la valeur de la marque du semencier. » L’assureur APA a, quant à lui, noué un partenariat avec le gouvernement kenyan. Ce dernier paie la prime pour assurer jusqu’à cinq animaux par famille dans le nord du Kenya. « Avant, le gouvernement versait une indemnité aux éleveurs en cas de crise climatique. Aujourd’hui, il paie uniquement la prime et l’assureur prend en charge le risque », détaille Ashok Shah.

 

Des modèles à affiner

L’assurance indicielle soulève toutefois un risque de base spécifique. Il advient lorsque la mesure de l’indice ne correspond pas à ce que les producteurs constatent eux-mêmes sur le terrain. « Nous faisons en permanence évoluer nos modèles en fonction de ce que nous constatons sur le terrain pour réduire le risque de base mais il ne sera pas possible de l’éliminer totalement, concède Rahab Kariuki. Aussi travaillons-nous en amont avec nos assureurs partenaires pour mettre en place des process de règlement des litiges éventuels, par exemple en remboursant deux ou trois fois le montant de la prime. »

APA a suivi une voie différente et a lancé en mars dernier, en association avec six assureurs kenyans, une autre forme innovante d’assurance à travers le programme « Area Yield Index Insurance ». Au lieu de se reposer sur la mesure du satellite, le modèle prévoit l’observation sur le terrain d’un échantillon de récolte pour une zone géographique cohérente. « Nous travaillons pour le moment sur la base des données fournies par le ministère de l’Agriculture, explique Ashok Shah. Mais à terme nous comptons utiliser les données que nous récupérerons nous-mêmes sur le terrain avec des tablettes, pour construire nos propres modèles. »

Pour perfectionner leur offre, les projets kenyans d’APA et d’Acre Africa s’appuient massivement sur l’expertise des actuaires du GIIF1, un programme placé sous l’égide de la Banque mondiale et de réassureurs comme Swiss Re, qui prennent encore à leur charge la majorité du risque couvert. Le chemin est encore long avant que les solutions d’assurance pour les petits agriculteurs des pays émergents arrivent à maturité. Et le besoin d’expertise actuarielle sera décisif.

 

Séverine Leboucher

 

  1. Global Index Insurance Facility.

 

 

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