Brésil : les actuaires en quête de reconnaissance
Le métier n’attire pas les étudiants. Pourtant, avec l’explosion du secteur de l’assurance et la mise en œuvre de nouvelles réformes, il offre toujours plus de débouchés.
Leur couleur est le bleu roy, leur symbole est le sablier. Les actuaires brésiliens ont aussi leur date, le 3 avril. Car comme toutes les professions, ils ont leur jour de fête. Malgré tout, ils ne sont pas nombreux à embrasser la carrière d’actuaire ; aujourd’hui 1 500 sont recensés à l’Institut brésilien d’actuariat (IBA), l’association qui les réunit. « La profession est méconnue au Brésil, c’est très spécifique. Peu de jeunes suivent des études d’actuariat à l’université. Les mathématiques, les chiffres paraissent souvent rébarbatifs », explique Claudia Campestrini, 41 ans, vice-présidente de l’IBA, et directrice de bénéfices, responsable actuariel des fonds de pension de la banque HSBC au Brésil.
Pourtant le métier ne manque pas d’attraits. Le premier est financier. Dans un pays où le salaire moyen est de l’ordre de 660 euros, un jeune diplômé en sciences actuarielles démarre sa carrière avec un revenu mensuel d’environ 1 300 euros. Dix ans plus tard, un actuaire gagne en moyenne 8 500 euros par mois. La plupart d’entre eux se concentrent principalement à Rio de Janeiro et à São Paulo, la capitale économique du Brésil. Dans ses bureaux paulistains de l’avenue Faria Lima, le principal centre financier de la ville, Claudia Campestrini aime ainsi définir son activité : « L’actuariat, c’est accompagner l’être humain après sa vie active et protéger les personnes ».
Un métier réglementé par la loi fédérale
Au Brésil, le statut d’actuaire est réglementé par la loi fédérale 806 de 1969. « Ce statut comporte une disposition importante. En effet, il appartient au seul actuaire de réaliser le calcul des provisions et des bonis des assurances et des fonds de pension », souligne Roberto Westenberger, associé de PWC Brasil et responsable actuariel pour les fonds de pension et les assurances. La réglementation exige aussi que les bilans de ces entreprises soient signés par un actuaire diplômé, qui engage sa responsabilité. Ainsi, une fois par an, un rapport actuariel est remis aux autorités de contrôle compétentes. La Susep1 pour les compagnies d’assurance, la Previc2 pour les fonds de pension et l’ANS3 pour les mutuelles de santé, qui maintiennent la confidentialité du contenu. La Previc comme l’ANS n’imposent aucune règle spécifique pour l’élaboration du rapport, « seule la Susep établit une règle de capital minimum pour les activités non-vie et le risque crédit », souligne l’associé de PWC Brasil, un matelas de sécurité obligatoire pour faire face aux fluctuations.
Il est admis que les rapports actuariels comportent des avis et des observations, ce qui, pour certains professionnels, comme Roberto Westenberger, est même une nécessité : « C’est comme un médecin. Il doit diagnostiquer les symptômes et informer le patient, même si celui-ci ne veut pas entendre qu’il est malade. » Néanmoins, en cas de pressions de la part d’entreprises ou de dirigeants, aucun dispositif ne couvre l’actuaire. Dans sa charte, l’IBA encourage ses membres à suivre le code de conduite de la profession et à éviter les conflits d’intérêts. Cependant Claudia Campestrini constate : « Les organismes de contrôle protègent davantage le marché que l’actuaire. »
Une profession qui profite de l’attrait pour l’assurance
« Depuis quelques années, l’actuariat jouit d’une réelle reconnaissance auprès des assureurs et des fonds de pension », se félicite Paulo Otavio Silva Camara, directeur actuariel et statistiques de Caixa e Seguro et de la filiale de la CNP au Brésil. Ce jeune actuaire de 35 ans a débuté en 1997. Cette année-là, Caixa e Seguro ne comptait que 500 millions de reais de provisions. Aujourd’hui, elles s’élèvent à 15 milliards de reais.
Le contexte politico-économique favorable – une démocratie consolidée et une monnaie stabilisée – amène la société brésilienne à changer de valeurs. Le capital confiance des Brésiliens a un impact direct sur le secteur des assurances, qui vit un moment d’euphorie. « Auparavant, les Brésiliens rêvaient d’acheter une voiture, une télévision, un réfrigérateur. Désormais, ils souscrivent des contrats d’assurance. Leurs priorités touchent la santé et ils investissent dans des produits d’épargne pour la retraite mais aussi pour les études de leurs enfants. Les Brésiliens croient en l’avenir », s’enthousiasme Paulo Otavio Silva Camara. Cependant, le marché de l’assurance ne représente que 3,5 % du PIB au Brésil. La marge de progression est donc forte. Selon lui, « les perspectives de croissance pour cette décennie sont de 15 % à 20 % par an ». Ce qui se répercute sur les orientations des actuaires. « Les compagnies d’assurances attirent de plus en plus d’actuaires au détriment des fonds de pension », note Claudia Campestrini.
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Vers une harmonisation des réglementations
La croissance de l’activité assurance a également une explication plus réglementaire. « La fin du monopole de la réassurance en 2007 et la libéralisation effective depuis 2009, ont favorisé l’essor du marché », estime Roberto Westenberger. À cela s’ajoutent des facteurs conjoncturels. La Coupe du monde en 2014, les Jeux olympiques en 2016 et la politique de grands chantiers (PAC) mise en œuvre par le gouvernement « vont créer une demande pour de nouveaux produits jusqu’ici peu commercialisés au Brésil », poursuit-il. Et Paulo Otavio d’ajouter : « Le système de santé publique est mal en point, ce qui favorise d’autant plus le secteur privé. » Sans compter la réforme des retraites (le projet prévoit de passer d’un système par répartition comme en France à un système par capitalisation), qui devrait générer une augmentation de l’activité des fonds de pension.
Par ailleurs, le Brésil est en passe d’harmoniser ses règles financières avec celles appliquées en Europe. Un premier pas est franchi avec l’adoption de l’IFRS comme norme comptable, qui doit entrer en vigueur cette année. Pour les entreprises, cela signifie plus de rigueur, plus de transparence, plus d’exigences de bonne gouvernance et des données plus détaillées. Une mise en ordre qui doit permettre de connaître la juste valeur de l’entreprise et de réaliser des comparaisons fiables avec celles d’autres pays. « Ce qui évitera les malversations », souligne Paulo Otavio Silva Camara. L’actuaire, lui, va devoir réaliser une reclassification des provisions.
“L’actuaire doit sortir de sa tour d’ivoire“
« En Europe, la norme Solvabilité II offre de nouvelles prérogatives à l’actuaire. Il faut quantifier les risques mais aussi développer des qualités d’administration », souligne Roberto Westenberger. L’associé de PWC Brasil espère que ce mouvement arrivera au Brésil rapidement. « Nos clients veulent améliorer leurs opérations, projeter les réductions de coûts. L’actuaire doit sortir de sa tour d’ivoire, il ne peut plus s’isoler de la marche de l’entreprise et doit en connaître parfaitement les produits, insiste-t-il. Tout ne repose pas sur la composante mathématique. »
Au Brésil, un actuaire ne peut cumuler d’autres fonctions que la sienne. Pourtant, Roberto Westenberger et Paulo Otavio Silva Camara partagent le même avis sur sa position stratégique : « L’actuaire est la personne disposée à connaître le mieux l’entreprise et les risques, il doit avoir l’ambition d’assumer des postes d’administration. »
Jérôme da Silva (Rio de Janeiro)
1. Superintendencia de Seguros Privados
2. Superintendencia Social de Previdencia Complementar
3. Agencia Nacional de Saude
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