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14 juin 2011

Responsables mais pas coupables

Qu’elles soient financières, institutionnelles ou même de crédit, les crises ne cessent de se multiplier depuis une dizaine d’années.

Qu’elles soient financières, institutionnelles ou même de crédit, les crises ne cessent de se multiplier depuis une dizaine d’années. Et avec elles, les règles prudentielles ainsi que les autorités de contrôle censées, paradoxalement, les prévenir. Inexorablement, la question de la responsabilité demeure insoluble.

« Qui est responsable du désastre ? Que ceux qui sont responsables soient sanctionnés et rendent des comptes », clamait Nicolas Sarkozy en septembre 2008 à New York à l’occasion de sa première intervention sur la crise financière mondiale. Un discours volontairement critique qui intervient pourtant un an après les premières menaces de faillite bancaire (notamment celles concernant les établissements allemand IKB et anglais Northern Rock en août et septembre 2007) et qui, au final, n’identifie aucun de ces fameux « fauteurs de crise ». Car dans le cadre de la crise des subprimes, il est difficile de désigner un seul bouc émissaire.

« Je suis dubitative sur la capacité que l’on peut avoir à isoler des responsables et à repérer la part d’erreur d’appréciation de chacun », déclarait alors la présidente du Medef, Laurence Parisot. Un avis depuis partagé par la commission d’enquête parlementaire américaine sur la crise financière (FCIC) Angelides. Pouvoir politique, autorités financières, agences de notation, banques, sociétés d’assurances... dans leurs conclusions publiées le 27 janvier dernier, les dix membres de la commission créée en mai 2009 par le président américain Barack Obama les désignent tous comme coupables de la crise financière. « Les capitaines de la finance et les garants de notre système financier ont ignoré les avertissements et échoué à questionner, comprendre et gérer les risques grandissants », peut-on lire dans ce document de près de 700 pages. Même son de cloche pour le rapport rendu mi-avril par le Sénat américain, selon lequel « la crise n’était pas une catastrophe naturelle, mais le résultat de produits financiers complexes et à haut risque ; de conflits d’intérêts tenus secrets et de l’échec des régulateurs, des agences de notation et du marché lui-même à brider les excès de Wall Street ».

Banques, agences de notation, banques centrales...

Responsables donc les agences de notation, qui n’ont vu arriver aucune des trois grandes crises financières des quinze dernières années et ont amplifié, à chaque fois, le mouvement de panique en surréagissant une fois celles-ci commencées. Coupables les Banques centrales dont la politique monétaire s’est cantonnée, depuis la crise russe de 1998, à un refinancement massif des marchés, entretenant les conditions de gonflement d’une nouvelle bulle spéculative. Fautives les banques qui sont passées outre les règles prudentielles en diffusant des créances douteuses pour ne pas avoir à augmenter leurs fonds propres. Blâmables les incitations financières à la prise de risque via la rémunération au bonus, asymétrique. Condamnable le système de gouvernance d’entreprise, qui a fait preuve de faiblesse dans les mécanismes de contrôle, contribuant ainsi à la prise de risque excessive. Critiquables les autorités de contrôle, qui se sont réfugiées derrière les règles édictées sans pousser au-delà leur rôle de superviseur.

« Pourtant, chacun a fait ce qu’il devait faire compte tenu des règles. Chaque échelon du système a agi conformément à la réglementation », indique Régis de Laroullière, directeur de l’Institut des actuaires. Paradoxalement, c’est donc l’ensemble de la régulation existante qui aurait contribué à l’éclatement et à la propagation de la crise. « Le paysage de la période passée […] était composé de règles que l’on croyait efficaces, mais qui étaient géographiquement partielles, procycliques et contradictoires », observent les membres du Conseil d’analyse économique dans leur ouvrage « De la crise des subprimes à la crise mondiale ». Et de poursuivre, « désormais, ce sont ces règles qui sont donc en question ».

 


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“Les marchés ne se régulent pas seuls“

« Les grands responsables de cet état de fait sont les régulateurs, surtout les Américains qui, faisant une confiance aveugle à l’efficience du marché, ont supprimé trop de règles prudentielles. Et qui, par ailleurs, n’ont pas exercé les contrôles a posteriori qui auraient évité des folies comme celle de l’assureur AIG », souligne Claude Bébéar, ancien patron d’Axa et président de l’IPS-Entreprendre pour la cité. « Le problème vient du fait,  que les marchés ne se régulent pas seuls, il n’y a d’ailleurs pas de raison démontrée pour qu’ils le fassent. Dans le cas où cela se produit, l’adaptation est souvent brutale », précise Jean-Luc Besson, membre du conseil d’administration de Scor Singapour et du groupe Matmut, ancien directeur des risques de Scor. Une brutalité à laquelle la communauté internationale apporte à chaque fois la même réponse : à défaut de coupables identifiés, elle se contente d’ajouter une couche supplémentaire de mesures préventives, rendues nécessaires par la dernière crise traversée. Le tout, sans transformer en profondeur les mécanismes de régulation du système financier international.

Ainsi, suite aux affaires de manipulations comptables du début des années 2000, parmi lesquelles le scandale Enron, ce fut l’entrée en vigueur en 2002 aux États-Unis de la loi Sarbanes-Oxley et, en 2003 en France, de la loi de sécurité financière, censées renforcer les contrôles. Dans leur ouvrage On comprend mieux le monde à travers l’économie, Patrick Artus et Marie-Paule Virard évoquent à ce propos, « un capitalisme de fuite en avant qui ne s’amende que contraint et forcé selon le principe a minima du “learning by doing wrong” ». D’où une dilution de la responsabilité au fil des crises et une difficulté croissante à désigner des fautifs, sans compromettre l’ensemble des acteurs du secteur économique.

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Une dose supplémentaire de règles prudentielles

Le parfait exemple de cette volonté de tirer en surface les leçons des crises passées est la mise en place de règles prudentielles censées s’assurer de la solidité du système financier. Directive Solvabilité II, accords Bâle III… l’objectif est toujours le même : améliorer la solvabilité des acteurs du marché, en les contraignant à détenir des fonds propres en adéquation avec leurs engagements et les risques auxquels ils sont exposés. Et ce afin d’éviter des prises de risque inconsidérées qui peuvent rapidement déséquilibrer l’ensemble de l’économie mondiale. « C’est aussi le rôle du régulateur de mettre en garde les entreprises voire les marchés sur le caractère trop optimiste de leur appréciation de la situation des risques qu’ils encourent », note Jean-Luc Besson. Mais cette règlementation ne s’applique qu’aux banques et aux assurances. Les autres acteurs de la finance et plus particulièrement les fonds d’investissement et les hedge funds en sont exemptés. Par conséquent, sans une extension des règles prudentielles à ces derniers, la portée de la réglementation s’avère limitée.

Et la tentation est grande pour les banques et les assurances de contourner ce cadre réglementaire en transférant leurs risques, notamment de crédit, vers d’autres acteurs non contrôlés. À l’image du phénomène de titrisation, qui a facilité la propagation de la crise des subprimes vers la sphère financière.

L’échec de la régulation, de la supervision et de la gestion du risque

« La régulation, la supervision et la gestion du risque ont massivement échoué et c’est justement ces aspects qu’il faut améliorer pour que les marchés n’aillent pas plus vite que les régulateurs », préconisait d’ailleurs le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, en mai 2009.

Preuve en est la réglementation du secteur des subprimes, entrée en vigueur en décembre 2007, alors même qu’aucun prêt de ce type n’était plus accordé depuis l’été. D’autant qu’avec la mondialisation l’éventuel durcissement de la régulation prudentielle ne peut se faire qu’au niveau planétaire.

« Plus les échanges sont internationaux, plus la régulation doit devenir internationale. Mais les intérêts des pays et ceux des acteurs sont tellement divergents que ce n’est pas une tâche facile », insiste Claude Bébéar, pour qui la disparition des crises n’est que pure utopie et qui estime que « des déséquilibres, comme l’excès actuel d’investissements dans certains pays en voie de développement, sont difficiles à prévoir, donc à prévenir puis à corriger. Le risque zéro n’existe pas en économie ».

Pire, l’évolution constante du risque lance sans cesse de nouveaux défis aux entreprises pour tenter de le maîtriser. 

Anne-Lise Defrance

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