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14 juin 2011

Entretien avec Christine Lagarde

Dettes souveraines, Solvabilité II… la ministre répond aux interrogations de la profession.

Dettes souveraines, Solvabilité II… face à une actualité économique intense, la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Christine Lagarde, répond aux interrogations de la profession.

l’actuariel : La situation de la Grèce, du Portugal et encore plus récemment l’alerte envoyée par Standard & Poor’s sur les États-Unis relancent les inquiétudes sur la dette souveraine. Ces craintes vous paraissent-elles justifiées ?

Christine Lagarde : Les tensions sur les marchés sont souvent la conséquence de rumeurs infondées. Une restructuration n’est pas à l’ordre du jour. La Grèce doit procéder aux ajustements nécessaires comme c’est le cas pour les autres pays périphériques qui ont fourni des efforts considérables en matière budgétaire.

l’actuariel : Des craintes pèsent également sur la France. Quelles sont les mesures prises par le gouvernement français qui vous semblent le plus à même aujourd’hui de rassurer les marchés ?

Ch.L. : La France est solide et jugée comme telle. Nous sommes notés AAA, stable, par les trois agences de notation. Nous sommes également considérés, au côté de l’Allemagne, parmi les AAA les plus solides devant le Royaume-Uni et les États-Unis.

La France est entrée dans la crise avec un niveau de dette élevé. Mais la progression de ce ratio pour la France a été moindre par rapport aux autres pays AAA comme les États-Unis et le Royaume-Uni, qui affichent un ratio dette/PIB supérieur au nôtre. Entre la solidité de son système bancaire et de son modèle économique et l’action du gouvernement au cœur de la crise, la France a mieux résisté que ses partenaires. Nous ne sommes pas sous la pression des marchés financiers, et, au sein du club des grands pays émetteurs, nous affichons avec l’Allemagne l’un des taux de financement les plus bas en Europe. Pour l’avenir, le gouvernement est déterminé à résorber les déficits actuels en réduisant la dynamique des dépenses de l’État, en maîtrisant progressivement le rythme de croissance des dépenses de santé, en réduisant le coût des niches fiscales et sociales, et en menant des réformes structurelles importantes – notamment la réforme du système des retraites – qui permettent de renforcer la solvabilité à long terme. La mise en œuvre de la réforme des retraites, du fait de son impact substantiel et durable sur la réduction du déficit public, est d’ailleurs jugée par les marchés comme un facteur déterminant pour préserver notre notation actuelle.

 

l’actuariel : Estimez-vous que la réglementation Solvabilité II était nécessaire ? Que va mettre en place l’État français pour s’y conformer ?

Ch.L. : À l’origine, le projet Solvabilité II était une demande des professionnels de l’assurance au niveau européen. La directive vise à accroître la protection des assurés au travers d’une modernisation des exigences prudentielles, qui prendront dorénavant en compte de manière très fine l’ensemble des risques supportés par les assureurs. Même si ces derniers ont dans l’ensemble bien traversé la crise financière, celle-ci a démontré toute l’importance de disposer d’outils adéquats de gestion des risques, et, pour le financement de l’économie, d’un secteur financier sain.

Je souhaite, par ailleurs, donner de la visibilité au secteur, en commençant dès à présent la transposition dans le droit national de ce dispositif. Mes services vont travailler à cette fin en liaison étroite avec l’ensemble des familles de l’assurance.

l’actuariel : Comment les nouvelles normes prudentielles vont-elles obliger les compagnies d’assurances et de réassurance à se réorganiser ?

Ch.L. : Un des objectifs de Solvabilité II est d’améliorer la gestion des risques effectuée par ces compagnies. Le système de gestion des risques mis en œuvre devra être efficace et parfaitement intégré à la structure organisationnelle. Les compagnies devront mettre en place plusieurs fonctions clés, dont bien sûr la fonction actuarielle. La directive laisse toutefois une latitude sur l’organisation interne nécessaire pour contrôler ces fonctions. Dans le cadre de la transposition de Solvabilité II, il convient donc de réfléchir aux orientations à retenir, compte tenu de la multiplicité des acteurs du marché français, du partage des pouvoirs entre les différents organes, qui n’est pas toujours identique, et de la nécessité d’appliquer le principe de proportionnalité.

l’actuariel : Il y a un an, vous avez soutenu la position des acteurs français de l’assurance face au commissaire européen et appelé à un « assouplissement » des critères de la directive. Estimez-vous avoir eu gain de cause ?

Ch.L. : La forte mobilisation de la France a permis de mieux prendre en compte les spécificités de notre industrie, notamment en matière de traitement des risques longs. Nous avons introduit plusieurs dispositifs pour limiter la volatilité du nouveau régime prudentiel. La France a également fait de nombreuses propositions pour simplifier les règles de calcul de l’exigence en capital, qui ont dans une large mesure été reprises par la Commission.

l’actuariel : Comment entrevoyez-vous l’impact de Solvabilité II sur les fonds propres des assureurs ?

Ch.L. : Je remercie les acteurs français qui ont largement participé à l’exercice d’impact quantitatif « QIS 5 ». C’était important. Je sais que c’était également un immense travail. L’étude d’impact a montré que, de manière générale, le marché français respecte très largement les exigences Solvabilité II. Certains éléments de paramétrage restent toutefois à améliorer. Il convient de s’assurer que le dispositif ne conduira pas à une volatilité excessive de fonds propres, qui ne correspondrait pas à la réalité du modèle économique des assureurs, qui sont par nature des investisseurs de long terme. La France a d’ores et déjà obtenu qu’un dampener soit mis en place, afin d’atténuer la volatilité liée à la détention d’actions. D’autres éléments permettant d’atténuer la volatilité sont, par ailleurs, en cours de discussion.


 

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l’actuariel : Par ailleurs, les assureurs mettent en avant le fait que Solvabilité II pourrait les obliger à réduire leurs investissements dans les entreprises et aurait un impact négatif sur l’économie française. Ils soulignent aussi que la « rigidité de la réglementation » risque de déstabiliser le secteur. Quelle réponse apportez-vous à ces propos ?

Ch.L. : Je suis totalement mobilisée pour introduire les mesures permettant de ne pas pénaliser la détention d’actions. La France a obtenu la mise en place d’un chargement des actions dépendant de la position dans le cycle économique, ainsi qu’un chargement réduit pour les actions relatives à la couverture d’activités retraites. Il demeure que la directive Solvabilité II est souvent citée pour justifier le désengagement actuel ou futur des assureurs du financement des entreprises. En réalité, d’autres éléments, tels que les couples rendement/risque anticipés des différentes classes d’actifs, sont évidemment des facteurs essentiels dans les choix des assureurs, qui ont réduit leur exposition aux actions du fait de la volatilité constatée sur cette classe d’actifs dans les dix dernières années.

l’actuariel : Solvabilité II stipule que les investissements en actions sont plus risqués que les investissements en obligations d’État. Mais, à la lueur de ce qui s’est passé ces derniers mois, ce postulat est-il toujours valable ?

Ch.L. : Il est difficile dans Solvabilité II de comparer les exigences associées à des risques différents. En effet, l’accroissement marginal de l’exigence en capital associé à un investissement dépendra de nombreux facteurs, notamment l’adéquation actif-passif de cet investissement avec la situation de l’assureur, ou la diversification avec les autres risques. Il est essentiel que les assureurs puissent continuer d’investir dans les classes d’actifs qui leur permettront de faire fructifier au mieux les sommes qui leur sont confiées par les assurés – c’est leur business model – tout en continuant de contribuer de manière satisfaisante au financement de l’économie.

l’actuariel : Avec Solvabilité II, la responsabilité des actuaires va se trouver accrue, ce qui préoccupe la profession. Quelle est la réponse aujourd’hui du gouvernement français face à cette inquiétude ?

Ch.L. : En plaçant la gestion des risques au cœur de la conduite des affaires, la directive Solvabilité II positionne les actuaires au centre du jeu. Votre profession a le vent en poupe ! Ce mouvement participe également d’une valorisation trop longuement attendue des fonctions liées au contrôle des risques dans les établissements financiers. C’est une excellente chose.

l’actuariel : Les actuaires souhaitent que leur rôle soit mieux reconnu, notamment en officialisant leurs responsabilités. Et ils recommandent de profiter du passage à Solvabilité II pour essayer de promouvoir une meilleure reconnaissance légale de la mission de leur profession. Que préconisez-vous pour cela ?

Ch.L. : Cette question dépasse en réalité le seul cadre du secteur assurantiel. Un des sujets de réflexion au niveau communautaire concerne le pouvoir d’alerte directe du responsable des risques à l’organe d’administration, mais une telle évolution pourrait toutefois nécessiter une adaptation du droit de nombreux États membres. Il me semble, en tout état de cause, nécessaire qu’une réflexion spécifique sur cette question soit menée dans le cadre des travaux sur la transposition de Solvabilité II en droit national.

l’actuariel : Sur la mise en place de Solvabilité II et plus généralement de la responsabilité des sociétés d’assurances (et de réassurance), y a-t-il des divergences entre la France et ses principaux partenaires de l’Union (Grande-Bretagne, Allemagne) ? Si oui, quelles sont-elles ?

Ch.L. : Comme dans toute négociation, il peut exister des différences de vue, liées aux spécificités des marchés nationaux ou au rôle que les assureurs jouent dans le financement de l’économie. C’est ainsi que la France a été particulièrement attentive, durant toute la négociation, à ce que les assureurs puissent conserver leur fonction de financement de long terme de l’économie et à porter des risques longs. Cette préoccupation a pu être moins forte chez certains de nos partenaires, pour qui ces activités sont parfois exercées par d’autres acteurs non assurantiels.

l’actuariel : Pensez-vous qu’avec ce nouveau cadre réglementaire, l’Union européenne est mieux armée que les États-Unis face à une éventuelle (autre) crise financière ?

Ch.L. : S’il est toujours techniquement difficile de comparer deux régimes prudentiels, cet exercice s’avère particulièrement délicat dans le cas des États-Unis, où la supervision prudentielle reste largement éclatée entre les différents États. Un régime prudentiel ne peut, en effet, se résumer à une exigence de fonds propres, même si c’est le paramètre le plus visible. Il faut prendre en compte l’ensemble des exigences, notamment celles relevant des piliers II (gouvernance) et III (reporting). Il est toutefois certain qu’avec Solvabilité II l’Europe se dote d’un régime modernisé qui pourrait servir d’exemple pour de nombreuses autres juridictions.

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