Arthur Charpentier, actuaire agrégé IA
« L’innovation, c’est aussi une question de philosophie »
Arthur Charpentier, actuaire agrégé IA, professeur et chercheur à l’université Rennes I
L’actuariel: Quels sont les principaux enjeux liés à l’innovation ?
Arthur Charpentier : Les assureurs ont aujourd’hui accès à des volumes importants de nouvelles données qu’ils ne savent pas forcément comment traiter et c’est dans ce sens-là que je vois arriver l’innovation. Prenez par exemple les données GPS, en voiture, dont personne ne sait trop encore quoi faire. En France, j’ai l’impression que les acteurs se cherchent un peu. Quant aux actuaires, ils sont déjà occupés. Ils ont eu le nouvel environnement de Solvabilité II à gérer et ils ont déjà beaucoup de pression en interne pour accomplir le travail qu’ils ont à faire. Malgré tout, je vois quand même de plus en plus de bureaux en charge de l’innovation s’emparer de ces sujets dans les grandes entreprises.
L’actuariel : Comment le sujet est-il abordé ?
A. C. : Partout il y a ces questionnements. Où va-t-on ? Comment le métier va-t-il évoluer ? Pas forcément dans quinze ans, mais déjà dans deux ou trois ans, quels seront les outils à notre disposition ? Avec les données GPS, susceptibles de fournir des informations en temps réel ou à la fin de la journée, se pose ainsi la question du « pay as you drive ». Cela ouvre des possibilités de contrats ajustés selon la conduite, mais qui, en même temps, remettent en cause le fondement même de l’assurance, où la prime est fixée a priori. En même temps, on peut aussi envisager d’utiliser ces données pour faire de la prévention. On pourrait imaginer envoyer un avertissement à un assuré pour lui signaler que sa conduite change depuis quelques jours et ainsi réduire certains risques. L’innovation, c’est aussi une question de philosophie. Il y a moyen d’utiliser ces données pour revoir la nature du métier d’assureur.
L’actuariel : Quel peut être le rôle des actuaires ?
A. C. : Il est important grâce à l’excellente formation de nos actuaires. En France, ils suivent une formation de niveau bac+5 avec des formations en statistiques assez poussées. Dès lors, il est parfaitement légitime, chez nous, qu’un actuaire ait son mot à dire sur l’innovation. Ils sont capables de gérer de nouvelles données qui ne cessent d’arriver. Des bracelets connectés peuvent potentiellement révolutionner la question de l’assurance santé. Si les compagnies ne sont pas encore totalement prêtes sur ces sujets, au moins les étudiants sont formés pour cela et à niveau !
L’actuariel : Quels sont les freins à l’utilisation des données ?
A. C. : La question des outils à utiliser entraîne celle de la propriété des données. Je vois ainsi des compagnies s’associer à des start-up. Mais à qui appartiennent ces données : à la compagnie ou au prestataire, qui commence à prendre une place de plus en plus importante ? Car, au final, le propriétaire des données sera le gagnant du jeu. À cela s’ajoutent évidemment des aspects réglementaires et éthiques à respecter. On ne peut pas encore utiliser n’importe quelle donnée pour fixer des tarifs.
L’actuariel : Quels seront les prochains sujets ?
A. C. : Il faut anticiper sur plein de choses. Quand on imagine la voiture sans conducteur par exemple, cela pose de vraies questions en termes d’assurance et de responsabilité. Ce n’est pas pour demain, on verra d’abord arriver des voitures semi-automatiques, mais les compagnies doivent y penser. J’imagine que les laboratoires des grands groupes réfléchissent déjà à des hypothèses…
Propos recueillis par Céline Chaudeau