"Il y a un vrai potentiel en France pour l'assurance takaful"
Ezzedine Ghlamallah
Dirigeant de SAAFI, cabinet de courtage en assurances, spécialiste de la distribution et de la conception de solutions d’accès à l’assurance et à la finance islamiques
L’actuariel : Y a-t-il des freins majeurs au développement d’une offre d’assurance islamique en France ?
Ezzedine Ghlamallah : Freins techniques pas vraiment, culturels certainement, économiques au contraire, puisque la BCE indiquait dans un rapport paru en juin 2013 que la finance islamique semblait avoir un bon potentiel en France. Le rapport annuel 2013 de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) fait état de 188 milliards d’euros de cotisations tous marchés confondus pour l’assurance en France. Si des solutions takaful arrivaient à capter ne serait-ce que 2 % du marché, la France deviendrait le deuxième marché mondial du takaful, qui représente, d’après EY, 11,2 milliards d’euros en 2014.
L’actuariel : Peut-on concilier entièrement droit local (en l’occurrence français) et principes takaful ?
E.G. : L’histoire et le développement économique de la France sont liés à celle de l’assurance. La solidarité et l’assistance sont des valeurs universelles, il est donc logique de les retrouver aussi bien dans le droit local que dans les principes du takaful. Je défends la thèse que la définition du takaful correspond à celle de la mutuelle d’assurance que nous connaissons bien. En outre, il n’y pas besoin de légiférer pour créer et distribuer des solutions takaful, le Code des assurances prévoit des structures juridiques parfaitement compatibles.
L’actuariel : La finance et l’assurance islamiques sont souvent critiquées pour leur capacité à contourner certains écueils techniques par des instruments parfois complexes…
E.G. : Vous devez sans doute faire allusion à la technique de la murabaha, qui consiste à acheter un bien comptant à un certain prix et à le revendre à terme au même prix majoré d’une marge bénéficiaire. Il ne faut pas assimiler la finance islamique dans son ensemble à cette seule technique, qui d’ailleurs n’est pas utilisée dans tous les modèles takaful. Il ne s’agit pas de « contourner » certains écueils mais d’innover et de trouver de nouvelles solutions qui respectent les principes de partage des risques et d’adossement à des actifs tangibles.
L’actuariel : Pouvez-vous nous citer un exemple ?
E.G. : On peut citer le développement du marché des sukuk (pluriel de sakk, ancêtre du mot chèque) : adossés à des actifs tangibles et conférant à leurs propriétaires une part du profit attaché au rendement de l’actif sous-jacent, ils représentent une véritable alternative aux obligations conventionnelles. Il s’agit d’une authentique innovation financière permettant de revenir à une finance plus raisonnée et d’enrayer la spirale de la dette.
Propos recueillis par Muriel Jaouën