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19 mars 2018

Les fintechs, bras armé de la transformation chinoise

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Pourquoi les fintechs chinoises connaissent un tel succès ?

Intervention gouvernementale pour réformer la finance et l’économie, dévelop­pement des usages et réseaux mobiles, positions dominantes de certains acteurs… comprendre l’extraordinaire succès des fintechs chinoises, c’est s’affranchir de toute comparaison occidentale.

Ant Financial, solutions de paiement online et plateforme mondiale de transactions financières, Zhong An, assureur digital, Qudian, spécialiste du microcrédit en ligne… Sur les trois premières marches du podium mondial des start-up de la finance*, trônent les entreprises chinoises. Les critères ? L’innovation, l’activité de recherche, les capitaux, la taille et la portée des sociétés. Une situation que confirme Frédéric Abécassis, vice-président de Capgemini Consulting Hong Kong & Asie du Sud-Est : « Aujourd’hui, la Chine est le premier marché de la fintech. Les investissements ont commencé à décoller en 2013 et la Chine a très vite pris le pouvoir. Sur les vingt-sept licornes fintech au monde, ces sociétés valorisées à plus d’un milliard de dollars, huit sont chinoises. »

*Le classement de KPMG et H2 Ventures consacre les cent fintechs leaders dans le monde en 2017.

Une volonté politique

En soutenant le boom des fintechs, le gouvernement chinois a saisi l’opportunité de doper son économie, la consommation, et de consolider son système financier. « Faire des profits, de manière à avoir une industrie financière solide pour assurer à terme la convertibilité du yuan », explique David Baverez, investisseur basé à Hong Kong et auteur de Paris Pékin express. Le gouvernement s’appuie sur les géants du numérique Alibaba (e-commerce), Tencent (réseaux sociaux), Xiaomi (smartphones et applications), Baidu (moteur de recherche), JD.com (e-commerce) pour développer les fintechs. Deux d’entre eux ont rapidement dominé le marché : Alibaba, à travers sa filière financière Ant Financial et son application de paiement Alipay, et Tencent, le propriétaire du réseau social ­WeChat, via son moyen de paiement WeChat Pay (anciennement TenPay). « La Chine est une économie bien organisée. Les dirigeants chinois ont vite compris que le monde était en train de changer et que tout allait passer par les nouvelles technologies, et ils ont investi très tôt dans les infrastructures Internet, ce qui a favorisé l’émergence d’acteurs digitaux. A contrario, les grandes banques et les grands assureurs sont des entreprises traditionnelles avec des modes de fonctionnement et des systèmes informatiques complètement dépassés. Il était alors facile pour des fintechs de proposer des services différents et innovants », décrit Frédéric Abécassis. Avec une population de près de 1,4 milliard d’individus, les fintechs ont en Chine un terrain de jeu à nul autre pareil. D’autant plus que les consommateurs chinois ont gagné en pouvoir d’achat ces dernières années et que la classe moyenne a une appétence pour placer et spéculer. Un énorme marché qui pousse les fintechs à mettre en place un modèle B to C, contrairement à la tendance occidentale.

Le smartphone, clé d’entrée des fintechs

Le mobile est l’outil clé pour que les consommateurs adoptent les services financiers numériques. Or les Chinois ont fait du smartphone leur principal point d’accès à Internet. En 2017, ils sont 753 millions à l’utiliser pour se connecter, selon une étude du China Internet Network Information Center (CNNIC). Entre 2016 et 2017, le nombre de consommateurs qui paient avec leur mobile est passé de 50,3 % à 65,5 %. Une aubaine pour les fintechs. La tendance ne touche pas que les métropoles, la plupart des nouveaux utilisateurs sont issus des zones rurales. « Tout le monde paie avec son téléphone aujourd’hui. En Chine, le réseau de cartes bancaires est bien moins développé qu’en Europe et la culture de l’argent liquide y est très forte ; il y a dix ans, tout se payait en cash. Avec le mobile, les Chinois ont gagné en confort de paiement », explique Hervé Alexandre, professeur en sciences de gestion, spécialisé en banque et intermédiation financière à l’université Paris-Dauphine.

1 milliard de comptes sur WeChat

Parallèlement, l’interdiction de Facebook, Twitter ou encore Gmail a fait de WeChat un réseau social surpuissant. Son PDG Ma Huateng déclare un milliard de comptes utilisateurs lors d’une conférence de presse en mars 2018. Une force de frappe qui pousse Tencent à s’engouffrer dans le marché du paiement mobile à la suite d’Alibaba. Les applications Alipay et WeChat Pay intègrent des portefeuilles numériques qui peuvent être liés à une carte de crédit ou de débit à des cartes prépayées ou alimentées par des virements. En intégrant le paiement par QR code, les services deviennent utilisables hors ligne. Pour l’année 2016, les paiements réalisés sur WeChatPay et Alipay atteignaient 2 900 milliards de dollars, selon la société d’étude et de conseil spécialisée dans les services financiers asiatiques KapronAsia. « En Europe, il existe beaucoup de concurrence concernant les fintechs de paiement. Un consommateur a aujourd’hui à sa disposition quinze ou vingt moyens de payer avec son téléphone. Alors que la Chine a imposé un réseau social et cette application a désormais une place centrale dans l’économie. Avec un tel nombre d’utilisateurs, les coûts n’ont rien à voir et le potentiel d’intérêt des commerçants pour utiliser l’application est évident », souligne Hervé Alexandre. A leur suite, d’autres entreprises technologiques comme Baidu, Xiaomi, JD.com ou l’assureur Ping An ont développé leur propre système de paiement. En analysant les achats et les données de leurs utilisateurs, les fintechs chinoises ont une connaissance fine de leurs besoins et peuvent leur proposer constamment de nouveaux services. « L’innovation majeure des fintechs chinoises, c’est d’avoir mis en œuvre une logique de plateforme. En utilisant ­WeChatPay vous pouvez régler votre facture d’eau, d’électricité, une place de cinéma, un dîner au restaurant », décrit Hervé Alexandre.

« Les fintechs chinoises réussissent parce qu’elles travaillent sur la finance inclusive. Grâce à elles, des personnes qui gagnent entre 700 et 1 000 dollars par mois et pour lesquelles un compte bancaire traditionnel n’est pas rentable sont incluses dans le système chinois. Cela explique pourquoi ces sociétés ont un très fort soutien du gouvernement. L’agenda caché des fintechs, c’est de contribuer à la paix sociale en Chine », estime David Baverez. En effet, le gouvernement chinois a déclaré dans son plan quinquennal (2016-2020) vouloir faire progresser les services financiers à destination « des PME, des paysans, des urbains à faible revenu, des personnes démunies, des handicapés, des personnes âgées et des autres groupes spéciaux ». Il a également exhorté les différents régulateurs à superviser le marché des services financiers afin « d’accélérer le développement de la finance basée sur Internet et la technologie des télécommunications dans le cadre du plan Internet Plus, visant à mieux soutenir la croissance économique réelle ».

Dont acte. Plutôt que de laisser dormir l’argent des consommateurs chinois dans leur portefeuille Alipay, Alibaba a travaillé en 2013 avec Tianhong Asset Management pour lancer le fonds Yu’e Bao. Les clients pouvaient investir l’argent issu de leur portefeuille numérique dans le produit Yu’e Bao avec à l’époque un taux d’intérêt annuel de 6 à 7 % (autour de 4 % en 2017) et la possibilité de retirer leurs fonds à tout moment. Un changement radical par rapport aux règles de dépôt et de délai proposées par les banques. D’un point de vue réglementaire, Tianhong est considéré comme le gestionnaire de fonds dans la fourniture de ce produit et Alipay est le service de distribution. Le succès est au rendez-vous : Yu’e Bao devient le plus grand fonds monétaire mondial avec 233 milliards de dollars d’actifs sous gestion en décembre 2017, selon CB Insights. En janvier 2014, Tencent lançait à son tour son fonds, Licaitong qui, après un an d’exercice, comptait déjà 10 millions d’utilisateurs et 14,5 milliards de dollars d’actifs sous gestion.

L’œil de Pékin

L’essor des fintechs permet également au gouvernement de remplir un autre de ses objectifs : éradiquer la finance de l’ombre. Cette dernière fournit aux particuliers et surtout aux entreprises en mal de trésorerie des prêts à des taux usuraires. Les fintechs sont donc une alternative pour aider le secteur privé à se développer. Les Chinois peinent à emprunter dans le cadre financier officiel car les quatre grandes banques chinoises financent principalement les entreprises d’État. Ainsi, selon KapronAsia, en 2015, People’s Bank of China (PBOC), la banque centrale, possédait des données sur 880 millions de personnes, mais l’historique de crédit de seulement 380 millions d’entre elles, soit moins d’un tiers de la population adulte, alors que 89 % des Américains ont une notation de crédit. Elle a alors sélectionné huit sociétés du numérique, dont Ant Financial, pour construire une notation de crédit à la consommation. Sesame Credit, le service d’Ant Financial, comptait 190 millions d’utilisateurs en 2016. Pour évaluer leur solvabilité, il s’aide de cinq indicateurs : l’historique de crédit de l’utilisateur, son comportement financier, sa capacité contractuelle, son identité et son réseau social. Il prend aussi en compte ses achats, ses virements et la gestion de son patrimoine. En intégrant Sesame Credit, les utilisateurs acceptent de partager leurs données avec Ant Financial mais également ses partenaires. De nombreuses sociétés de prêts entre particuliers (P to P) qui ne peuvent accéder aux données de PBOC passent donc par Sesame Credit. Ant Financial a également lancé son propre service de prêts aux particuliers, Huabei. En juillet 2016, Sesame Credit a été décliné pour les PME sous l’appellation Ling Zhi.

[traitement;requete;objet=article#ID=1499#TITLE=Hong Kong aux portes de la Chine…]

Entre ouverture et réglementation, le régulateur ajuste

Pour faire émerger des acteurs forts, PBOC, qui régule les marchés financiers, a tout d’abord choisi de ne pas leur imposer de barrières. Le régulateur n’a exigé qu’en 2011 que tous les fournisseurs de services de paiement fassent une demande de licence. 270 sociétés dont Alipay et TenPay en obtiennent une. La plupart existent toujours aujourd’hui et ont vu leur licence renouvelée en 2016. Tout l’enjeu est de trouver l’équilibre entre innovation et contrôle des risques. En décembre 2015, PBOC a publié des « mesures administratives pour les services de paiement par Internet des institutions de paiement non bancaires », comme l’obligation de recourir à une identité réelle pour ouvrir un compte de paiement et des plafonds mensuels sur l’activité de paiement. À partir du 30 juin 2018, les transactions devront transiter par une plateforme de compensation mise en place par PBOC.

Autre sujet pour le régulateur chinois : l’encadrement des prêts entre particuliers. En 2016, ce marché a atteint 220 milliards de dollars, selon iResearch, l’institut de recherche spécialisé dans l’industrie numérique en Chine, qui estime à 241 millions le nombre d’utilisateurs des P to P en 2018. Mais la croissance non régulée a donné lieu à plusieurs scandales. En 2016, la plateforme Ezubao est ainsi devenue l’exemple de la plus grande fraude financière de Chine. Reposant sur une pyramide de Ponzi, la société aurait dérobé 7,6 milliards de dollars à près d’un million d’investisseurs. Le régulateur a réagi en publiant une nouvelle réglementation prudentielle : en 2017, plus de 60 % des 5 890 plateformes de PtoP auraient cessé leurs opérations, selon le cabinet Oliver Wyman.

[traitement;requete;objet=article#ID=1489#TITLE=Interview de Meng Meng, Senior Pricing Actuary chez Scor, certifiée IA et présidente de l’Association actuarielle sino-française]Le marché chinois recèle encore de nombreuses opportunités pour les fintechs, mais l’internationalisation reste un désir latent des grands acteurs. « Tencent et Alibaba la préparent depuis 2014 en faisant des acquisitions. Ils investissent dans des technologies de pointe comme l’intelligence artificielle, la blockchain, le big data ou dans des réseaux de distribution, comme ils ont tenté de le faire en acquérant MoneyGram », souligne Sophie Zhou Goulvestre, dirigeante du cabinet SR2C Consulting & Management, qui aide les entreprises à s’installer en Chine. Les premières briques ont été posées en Asie. Par exemple, en janvier 2016, WeChat Pay a été lancé à Hong Kong. En 2015, Alibaba a investi dans PayTM108 et Tencent dans PayU, deux des plus grands fournisseurs de paiement numérique en Inde. Grâce à l’acquisition de la société indonésienne Lazada, Alibaba veut développer ses activités en Asie du Sud-Est. Les applications de paiement sont également accessibles dans certains pays pour les touristes chinois. Pour le marché français et européen, Alipay et WeChat Pay s’appuient aujourd’hui sur BNP Paribas. La conquête est en marche, reste à savoir si les fintechs sauront adapter leur modèle typiquement chinois pour réussir leur expansion.

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