Philippe Herlin, économiste et auteur de l’essai Apple, Bitcoin, Paypal, Google : la fin des banques
« Les concurrents les plus dangereux sont les GAFAs et les opérateurs télécoms »
l’actuariel : Comment voyez-vous évoluer le réseau bancaire français ?
Philippe Herlin : Je ne le vois pas disparaître à cause de la digitalisation. Mais il est menacé par de nouveaux acteurs qui utilisent ces ressources numériques pour concurrencer les banques. Les fintech sont encore modestes pour l’instant. En revanche, les concurrents les plus dangereux sont les GAFAs (Google, Amazon, Facebook, Apple), auxquels il faut ajouter les opérateurs de télécoms. Orange a déjà développé un système de paiement par téléphone mobile en Afrique de l’Ouest, où le taux de bancarisation est très faible, mais où tout le monde a un téléphone portable. Or, le rachat de Groupama Banque lui permet maintenant, avec sa licence bancaire, de lancer Orange Bank en 2017 et de se positionner comme le futur « Free » de la banque. C’est très positif pour le client mais potentiellement désastreux pour les futures marges des réseaux traditionnels, déjà impactés par la baisse des taux d’intérêt. Ajoutez à cela des solutions alternatives comme le Compte-Nickel, avec 400 000 clients. Autant de raisons pour les banques de se réinventer…
l’actuariel : Quel sera le modèle de la banque du futur ?
P.H. : Les banques lancent des applications digitales, mais l’urgence est surtout de changer leur modèle de fonctionnement, qui repose sur un réseau surdimensionné qu’elles ont développé dans les années 1970 et 1980. Si la densité du réseau français a quelque chose de culturel, selon moi, c’est plus le fait des banques que des usagers. Longtemps, la stratégie a été d’avoir des agences à tous les coins de rue pour attirer des clients. Mais, longtemps, ces banques sont aussi restées sans concurrents. Aujourd’hui, le contexte est vraiment différent. Bientôt se posera peut-être aussi la question de la portabilité du numéro de compte, qui permettra de changer de banque plus facilement. Un début de restructuration et de fermetures d’agences a commencé timidement et devrait s’accélérer si Orange arrive sur le marché avec une offre vraiment intéressante.
l’actuariel : Peut-on imaginer la banque sans réseau physique ?
P.H. : Avec la digitalisation, on ne se rend plus autant dans une banque. Mais, pour les grosses opérations, les usagers auront toujours besoin d’un conseil qu’ils ne trouvent pas toujours forcément en agence à l’heure actuelle. Il faut repenser la formation, mais aussi la façon de travailler des collaborateurs. Est-ce normal que les banques ne soient jamais ouvertes le soir ? Il y a là sans doute une question à se poser.
l’actuariel : Le secteur de l’assurance doit-il aussi se réinventer ?
P.H. : Pour l’assurance, c’est encore différent : le secteur est encore relativement protégé. C’est compliqué de lancer une nouvelle enseigne pour concurrencer l’assurance. Le contexte réglementaire est également différent. La banque, elle, doit muer parce qu’une directive européenne a ouvert le secteur à la concurrence. Mais le tour de l’assurance finira sans doute par arriver et le secteur a intérêt à réfléchir aussi à son avenir…
Propos recueillis par Céline Chaudeau