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15 mars 2017

François Bonnin, directeur finance quantitative et actuariat financier chez KPMG France

Interview

« L’engagement de l’actuaire responsable est aussi une question de gouvernance »

François Bonnin, actuaire certifié IA CERA et conseiller scientifique de l’actuariel, directeur finance quantitative et actuariat financier chez KPMG France et auteur du livre Piloter la fonction actuarielle (éd. L’Argus de l’assurance, 2013)

 

l’actuariel : En quoi l’engagement d’un actuaire responsable est-il différent de celui d’un actuaire classique ?

François Bonnin : L’actuaire responsable est désormais porteur d’une fonction clé. Bien sûr, le code de déontologie s’applique à tous les actuaires. Mais, avec la directive Solvabilité II, l’actuaire responsable endosse quasiment un rôle de garant du montant des provisions et de la politique de souscription et de réassurance. Il a un devoir vis-à-vis de l’autorité de contrôle, l’ACPR. Alors qu’un actuaire « classique » va « simplement » faire des calculs de tarifs de provisions, l’actuaire responsable va signer un rapport. Certes, dans le droit français, la responsabilité légale de cette signature demeure floue car il reste salarié, et à ce titre subordonné à son entreprise. Mais dès lors qu’il signe un rapport, il est difficile d’imaginer que sa responsabilité sera toujours, et par principe, nulle et non avenue.

l’actuariel : Que se passe-t-il alors s’il perçoit une contradiction entre la politique tarifaire de l’entreprise et la sécurité de long terme de celle-ci ou de ses clients ?

F.B. : L’actuaire responsable de la fonction actuarielle privilégie la sécurité de long terme, là ou d’autres fonctions de l’entreprise doivent tenir compte de contraintes et d’objectifs de plus court terme, commerciaux ou financiers par exemple. On peut tout à fait imaginer une problématique autour de garanties financières annexes à un contrat d’assurance-vie qu’il jugerait sous-tarifées, sans que les concepteurs du produit en aient conscience. Il faut bien voir que chaque acteur agit tout à la fois conformément à ses intérêts et dans un cadre qui lui paraît être conforme aux objectifs de l’entreprise et à l’intérêt des clients. Mais le rôle de l’actuaire reste de mesurer les risques, pour alerter mais surtout pour éclairer en amont les décisions de l’entreprise. Il doit pour cela être capable de formuler des hypothèses « raisonnablement hors cadre ».

l’actuariel : Cela signifie que l’actuaire doit faire preuve de courage pour faire entendre sa voix ?

F.B. : Toutes les fonctions à responsabilité demandent du courage ! Mais, dans la fonction actuarielle, cela suppose de résister à un éventuel discours dominant autant qu’à des modes. L’actuaire doit être capable d’exercer sa fonction de lanceur d’alerte à bon escient, ni trop ni trop peu. Cette capacité s’acquiert avec l’expérience, après s’être frotté à des environnements différents et avoir été confronté à des crises. Cependant, un actuaire peut aussi trouver de l’aide dans des cénacles professionnels, tels que ceux que l’Institut des actuaires essaie justement de promouvoir, de type « club ». L’idée est d’échanger ponctuellement sur ces questionnements, en toute confidentialité, avec d’autres porteurs de la fonction actuarielle, extérieurs à l’entreprise mais confrontés à des problématiques de nature similaire.

l’actuariel : L’organisation peut-elle aussi faciliter ce courage ?

F.B. : L’engagement, c’est aussi une question de gouvernance – qui doit être formalisée – et de culture d’entreprise – qui par nature ne peut pas l’être entièrement. Cela suppose que la fonction actuarielle ait un accès au niveau de la direction générale, que ce qu’elle écrit soit accessible au conseil d’administration et qu’elle puisse avoir, suffisamment en amont, des échanges avec des fonctions qui auront peut-être des vues différentes des siennes. Même si l’organisation est là, il faudra un réel engagement de l’actuaire pour dire certaines choses mais il faut également libérer la parole en amont des rapports et des communications formelles.

l’actuariel : Mais finalement comment faire ?

F.B. : Le rôle de l’actuaire n’est pas d’être un oiseau de mauvais augure, surtout a posteriori, ce qui est à peu près inutile. En revanche son devoir est de se concentrer sur le long terme. L’actuaire doit également travailler pour que sa parole puisse être utile et entendue. C’est sa responsabilité de porter des messages techniques ou scientifiques et de les rendre intelligibles pour ses interlocuteurs : décideurs au sein de l’entreprise, dirigeants et, plus rarement, le grand public.

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