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03 avril 2015

Sébastien Bachellier

Interview

"La révolution du digital est une révolution de la donnée"

 

Sébastien Bachellier, Actuaire certifié IA, Directeur commercial régional agents généraux, Allianz

l’actuariel : Que change la mutation vers le digital pour l’actuaire ?

 Sébastien Bachellier : L’arrivée massive du digital impose la loi du « Anytime, anywhere, any device » à la relation client.

C’est-à-dire que n’importe quel consommateur souhaite de plus en plus, « quand il veut, depuis n’importe quel endroit et sur n’importe

quel support » (ordinateur, tablette, smartphone…), entrer en contact avec son assureur. S’il s’agit d’une vraie révolution pour le marketing

de l’offre, cela ouvre de nouvelles perspectives pour les actuaires.

l’actuariel : Lesquelles ?

 S. B. : Les actuaires, pendant longtemps, ont pu se plaindre de ne pas avoir assez de données pour construire leurs modèles.

Aujourd’hui, sur Internet, avec ce que l’on appelle les « tarifs express », de moins en moins de questions sont posées aux internautes, qui peuvent

donc obtenir un tarif en quelques clics. En revanche, une masse colossale de données est disponible grâce au numérique, de sorte que les actuaires

doivent devenir des scientifiques de la donnée, pour alimenter des modèles de plus en plus fins. Au fond, pour l’actuariat, la révolution

du digital, c’est surtout une révolution de la donnée.

l’actuariel : On assiste en réalité à une fragmentation croissante des modèles ? 

S. B. : Le digital rend les produits plus modulaires, mieux adaptés aux besoins des clients. Les clients qui souhaitent en toute transparence

partager leurs données avec leur assureur veulent qu’en contrepartie nous les prenions en compte pour avoir des produits très personnalisés.

Il en résulte une augmentation de la segmentation des risques, des produits et des services, et de la tarification.

l’actuariel : Peut-on aller jusqu’à dire que cette arrivée massive de données fait exploser tous les modèles existants ?

 S. B. : Non, car les fondamentaux techniques de l’assurance IARD, le principe de mutualisation, ne changeront pas de sitôt. S’y ajoutent

en plus les contraintes de Solvabilité II, qui obligent à être encore plus exigeant. Digital ou pas digital, les équilibres techniques sont

challengés mais les fondamentaux actuariels restent les mêmes.

l’actuariel : Les actuaires sont-ils équipés pour travailler avec ce nouveau matériau ?

 S. B. : On assiste à une complexification opérationnelle de ce que les actuaires savaient déjà faire en théorie. Ils doivent désormais savoir gérer,

extraire et traiter des données massives et non structurées. Mais ils sont de plus en plus nombreux à être formés pour cela ; il va exister au sein de

l’Institut des actuaires une formation spécifique d’actuaire Data Scientist.

l’actuariel : Est-ce que les entreprises ont pris ces nouvelles méthodes de travail en compte ?

 S. B. : Chaque entreprise du secteur avance bien sûr de façon différente, mais les gros acteurs de l’assurance mettent en place des directions

recherche et développement, des directions « intelligence client » ou « intelligence de données », dans lesquelles on voit arriver des actuaires.

Par ailleurs, la fonction de Chief Data Officer est en train d’apparaître dans de nombreuses organisations.

l’actuariel : De ces directions de R&D, ou d’« intelligence », vont donc sortir quantité de nouveaux produits et services ?

 S. B. : Le digital préfigure certainement le fait que de nouveaux services seront packagés dans les produits d’assurance. Par exemple, par le biais

de l’utilisation des objets connectés, qui stockent des données, les assureurs pourraient créer de nouveaux services pour les clients qui

souhaiteront partager leurs données, un secteur important en la matière étant celui de la santé. En effet, les actuaires, grâce à ces données

massives, vont peut-être pouvoir identifier de nouvelles corrélations.

l’actuariel : Par exemple ?

 S. B. : Le nombre de pas que vous faites quotidiennement, les escaliers que vous montez ou descendez chaque jour, autant d’éléments qui

pourront ou pas se corréler par exemple à la probabilité de développer des troubles cardio-vasculaires ou autres. De nombreux services de

prévention et d’aide à la personne pourraient être imaginés pour améliorer la qualité de vie des personnes. Le partage des données de santé reste

néanmoins un sujet complexe et cela prendra du temps. Dans d’autres domaines, cela peut aller beaucoup plus vite. Dans l’automobile,

par exemple, si vous aviez une Clio rouge et que vous faisiez 30 000 km par an, votre voiture avait un certain prix au regard de l’assureur,

qui ne pouvait pas prendre en compte votre comportement de conduite. Très bientôt, pour les clients désireux de partager leurs données

et équipés avec des boîtiers connectés dans leur voiture, les actuaires sauront estimer si vous avez une conduite plus prudente que la moyenne,

et votre tarification pourrait se bonifier en fonction de cela.

l’actuariel : C’est un renversement de la logique assurantielle ?

 S. B. : Les assureurs doivent s’adapter aux changements de comportement de leurs clients et anticiper l’arrivée de nouvelles

technologies. À eux de suivre ces évolutions et de s’adapter également, tant dans leur façon de travailler les méta-données

que dans les nouveaux modèles qu’ils construiront.

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