Interview de Stéphane Choisez, avocat spécialisé en droit des assurances, associé du cabinet Ngo Coh
Interview
« Les actions de groupe intensifient le risque d’atteinte à la réputation »
Stéphane Choisez, avocat spécialisé en droit des assurances, associé du cabinet Ngo Cohen Amir-Aslani et associés
l’actuariel : L’atteinte à la réputation conduit-elle systématiquement à une action juridique ?
Stéphane Choisez : Pas systématiquement, mais de plus en plus souvent. Car l’atteinte à la réputation découle en général d’une faute. Lorsqu’il s’agit d’un manquement volontaire de la part de l’entreprise, les consommateurs ont tous les instruments juridiques à disposition pour intenter une action. Pour le Mediator, le groupe pharmaceutique Servier savait que ce médicament nuisait. Pour le prêt Helvet Immo, BNP Personal Finance n’ignorait pas que le cours euro/franc suisse était instable. Pour Volkswagen, les moteurs ont été truqués intentionnellement...
l’actuariel : Des dizaines d’actions de groupe contre Volkswagen ont été lancées aux États-Unis. La France peut-elle prendre le même chemin ?
S.C. : Tout à fait. Les actions de groupe sont autorisées en France depuis octobre 2014 par la loi Hamon sur la consommation. Quinze associations de consommateurs agréées peuvent entamer des actions de groupe. Cinq sont en cours à ce jour. Et d’autres pourraient être lancées contre Volkswagen. Quelques semaines après les premières révélations, l’Ordre des avocats de Paris a lancé un site dédié pour regrouper les plaintes des consommateurs français.
l’actuariel : Les actions de groupe augmentent-elles le risque de réputation ?
S.C. : Oui, les actions de groupe intensifient le risque d’atteinte à la réputation. L’action de groupe focalise l’attention sur des pratiques peu vertueuses donc la mauvaise réputation n’en est que plus visible. Surtout, les consommateurs réalisent qu’ils sont, eux aussi, clients de la marque et qu’ils ont, eux aussi, été lésés. Ils peuvent donc se joindre à l’action. L’entreprise se retrouve face à des milliers, voire des dizaines de milliers de plaignants.
l’actuariel : Que se passe-t-il lorsqu’il n’y a pas de faute caractérisée de l’entreprise ?
S.C. : Même s’il n’y a pas de faute caractérisée, dès lors que la boîte de Pandore est ouverte, il est très difficile de restaurer l’image. Nous sommes dans une société de la transparence : les consommateurs ont besoin d’avoir confiance. Le moindre faux pas atteint la réputation, donc la valeur de l’entreprise. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’action en justice que la réputation n’est pas entachée. La nouvelle du décès d’un adolescent qui avait mangé chez Quick s’est répandue comme une traînée de poudre que la chaîne n’a pas su arrêter. La direction a trop tardé à communiquer.
l’actuariel : La peur de l’action en justice peut-elle entraîner des pratiques plus vertueuses ?
S.C. : Sans doute, car en plus de l’action en justice et de l’amende, les entreprises ont tout à craindre de l’humiliation. Ainsi, le « Name & Shame » peut se révéler être une arme dissuasive. Il s’agit de rendre public le nom d’une entreprise en infraction : le juge qui condamne une organisation pour travail illégal peut diffuser son nom sur une liste noire. Cette peine complémentaire émane, en France, du décret d’application d’octobre 2015 de la loi Savary du 10 juillet 2014. Figurer sur une liste noire diffusée à grande échelle sur Internet a de quoi inquiéter...